La naturalisation, samedi 15 avril, de vingt-huit « tirailleurs sénégalais » afin de leur permettre d’avoir une fin de vie plus décente est un triste retour en arrière pour nos pays dans leur entreprise de décolonisation définitive. Après des décennies de diverses revendications, plaintes, pétitions, la France accorde enfin sa « reconnaissance » à une poignée de survivants africains de guerres auxquelles ils ne comprenaient rien et dans lesquelles, souvent, ils ne se sont pas engagés volontairement.

En naturalisant ces anciens combattants, François Hollande évoque leur retour dans la « nation française ». Faux. La France n’a jamais été la nation de ces hommes, elle s’est imposée à eux. Ces messieurs représentent pour notre génération le visage de ce que furent plusieurs siècles de négation de la dignité de l’homme africain par l’inique système de la colonisation, dont le caractère ou non de crime contre l’humanité a encore récemment fait polémique. Le travail de mémoire de la France est de faire face à ses propres démons en assumant enfin sa responsabilité sur tous les crimes commis, comme celui, justement, du massacre de tirailleurs démobilisés à Thiaroye, dans la banlieue de Dakar, en 1944.

Ce décret est une maigre pitance, une condescendance terrible de mépris pour une poignée de vieillards seuls et fragiles. François Hollande, qui a violé sa parole sur le vote des étrangers avant de promouvoir la déchéance de nationalité durant son mandat, vient instrumentaliser la misère de pauvres personnes âgées en guise de baroud d’honneur.

Une honte pour la France et pour l’Afrique

Cette naturalisation n’honore personne : ni la France qui s’en vante, ni les Africains qui s’en félicitent comme la réparation d’une vieille injustice.

La France n’a pas à offrir son passeport comme récompense à de vieux étrangers pris en otages sur son sol puisqu’un retour au pays leur ferait perdre de facto leur maigre pension. La France a mieux à accorder à ces gens : justice et dignité. Un document d’identité n’est pas une simple attestation de reconnaissance ni un certificat de bonne conduite, mais il est l’inscription pleine et entière dans l’histoire d’un pays et dans son destin. On ne devient pas Sénégalais ou Français pour arrondir ses fins de mois.

« On ne devient pas Sénégalais ou Français pour arrondir ses fins de mois »

Voilà pour la France. Pour nous autres Africains, l’indépendance ne consiste pas seulement à parader chaque année en chantant les gloires du « pays acquis », de la nation et de la patrie. Elle doit stimuler l’orgueil national et permettre l’exercice complet de la souveraineté.

Ces « tirailleurs sénégalais » ne sont pas seulement l’affaire de l’ancienne puissance coloniale, ils sont aussi la nôtre ; et nos Etats ont l’obligation de ne pas se calfeutrer dans l’irresponsabilité en se murant derrière l’excuse coloniale. Etre indépendant, c’est aussi se donner les moyens de faire vivre décemment ceux dont on s’honore. De surcroît, dans chaque débat entre Africains, nous aimons vanter ces « braves tirailleurs sénégalais qui ont libéré la France » en oubliant bien souvent qu’ils ont aussi aidé le général Alfred Dodds à vaincre Béhanzin, le roi du Dahomey, et à piller ses trésors.

Je suis convaincu que Ndongo Dieng, Alioune Mbodji et tous leurs frères d’armes seraient mieux traités chez eux, auprès de la chaleur de leurs familles, dans l’affection et la vénération qu’inspire le privilège de l’âge en Afrique. Vivre dans des foyers vétustes et peu accueillants, à la merci d’une instrumentalisation politique, n’a rien de gai.

Mais hélas, il faut reconnaître qu’eux-mêmes ne font pas confiance à nos dirigeants en choisissant de consacrer leurs ultimes forces à… devenir français. Soixante ans après nos indépendances, quel échec !

Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.