Yooka et Laylee, deux animaux qui se contrôlent comme un seul héros.

Qui a dit que les jeux vidéo pouvaient éloigner la jeunesse des livres ? Dans le jeu de plateforme Yooka-Laylee, les deux héros éponymes courent après les pages de leur grimoire magique, volées par l’homme d’affaires sans scrupule Capital B. Son arme secrète : il a racheté et détourné de son usage originel le Noveliser 64, une machine capable d’aspirer à distance les livres du monde entier.

Le scénario n’a pas vraiment d’intérêt, mais la métaphore est transparente. Ceux qui suivent l’actualité du jeu vidéo comme d’autres suivent la série Dallas auront compris que le livre magique, arraché à leurs propriétaires légitimes par le méchant industriel, c’est le studio de développement Rare.

Longtemps cheville ouvrière des consoles Nintendo, le studio britannique a été racheté en 2003 par Microsoft pour alimenter en jeux ses consoles Xbox. Certains considèrent que Rare, peu à peu vidé de sa substance, ne serait aujourd’hui plus que l’ombre que de lui-même. C’est en tout cas l’avis de la demi-douzaine d’anciens qui ont fini par quitter le navire pour fonder en 2015 le studio indépendant Playtonic Games.

Sans surprise, leur premier jeu, ce Yooka-Laylee sorti le 11 avril sur PC, PS4 et Xbox One, est une copie quasi conforme d’un des jeux de l’âge d’or de Rare : Banjo-Kazooie.

Lointain cousin d’« Assassin’s Creed »

Yooka-Laylee reprend donc toutes les recettes de Banjo-Kazooie, avec pour seule exception de proposer des graphismes plus agréables à l’œil que la poignée de polygones que pouvait afficher la Nintendo 64 à l’époque.

Il s’agit donc toujours d’un jeu de plateforme en trois dimensions, où le joueur contrôle simultanément deux animaux aux capacités complémentaires : comme l’ours Banjo en son temps, le caméléon Yooka fait la majorité du travail, court, saute, frappe. Comme son lointain ancêtre l’oiseau Kazooie, la chauve-souris Laylee permet surtout à l’improbable duo de planer.

Comme son modèle également, Yooka-Laylee est un jeu qui use et abuse d’un humour régressif, de dialogues à base de borborygmes régulièrement pétomanes, de clins d’œil énormes et de mises en abîme rigolotes.

The First 15 Minutes of Yooka-Laylee Gameplay
Durée : 15:04

Mini-jeux, transformations, défis, séquences d’adresse ou de course… C’est un titre foutraque et joyeux, qui digresse souvent, déraille régulièrement, mais pas dans tous les sens : il s’agit toujours de dérapages contrôlés, les roues bien fichées dans les ornières déjà empruntées par Rare il y a quasiment vingt ans.

Surtout, Yooka-Laylee reprend à son compte le principe même de Banjo-Kazooie, tentative de jeu d’action-plateforme dans des niveaux ouverts et remplis d’objets à collectionner qui, en quelque sorte, préfigure un peu le Assassin’s Creed d’Ubisoft.

Les cinq vastes mondes de Yooka-Laylee sont ainsi construits comme des environnements à explorer librement davantage que comme des missions linéaires. Bourrés de recoins, de secrets, et d’épreuves, ils fourmillent de pages, de plumes, de fantômes, d’atomes plus ou moins dissimulés à collectionner pour pouvoir avancer. De facto, le joueur se retrouve à chercher, à observer, à multiplier les allers-retours, à tenter des choses et à revenir, plus tard, quand le déclic se sera produit.

Pour éviter qu’on ne se perde totalement dans ces niveaux un rien touffus, le jeu en propose d’ailleurs systématiquement une version « allégée », plus réduite, plus facile à appréhender, avant de permettre de débloquer, plus tard, les niveaux dans toute leur immensité chaotique.

Un public conquis d’avance

C’est heureux, mais pas forcément suffisant. Les mondes de Yooka-Laylee ont des allures de parcs d’attraction dont on aurait enlevé toute signalétique, de jouets livrés sans leur notice. Ce sont surtout de gigantesques pochettes-surprises, qui donnent l’impression d’avoir été remplies avec énormément de générosité, mais avec assez peu de réflexion.

La vérité, c’est que malgré son aspect accessible voire enfantin, Yooka-Laylee n’est que ça : un gros cadeau aux fans trentenaires du Rare d’antan, davantage qu’un jeu que l’on pourrait apprécier hors contexte.

C’est à ce titre un objet vidéoludique assez fascinant : un exercice de style d’un genre nouveau, un jeu hommage qui ne s’adresse pas aux habituels amoureux des pixels des années 1980 ou 1990 mais à la génération d’après, celle qui a découvert le jeu vidéo au tournant des années 2000 et la nostalgie en 2015, quand il a fallu financer Yooka-Laylee sur Kickstarter.

Capital B., grand méchant du jeu « Yooka-Laylee », est un homme d’affaires sans scrupule qui utilise une machine aspirant à distance les livres du monde entier.

Malgré cela, les environnements si vastes et presque confus du jeu, sa maniabilité et la gestion de sa caméra approximatives (une hérésie, dans un jeu de plateforme), et son esthétique de jeu de fan réalisé sous Unreal Engine (on pense souvent aux remakes amateurs d’Ocarina of Time) le condamne à ce statut d’objet étrange et anachronique, avant tout destiné à amuser les fans enamourés.

Mais est-ce si grave ? Sur le site anglo-saxon Kotaku, la journaliste Heather Alexandra avançait cette hypothèse en paraphrasant Jean Baudrillard : en se payant Yooka-Laylee, les joueurs s’offriraient moins un jeu vidéo qu’un retour vers une enfance dont ils n’auraient pas tout à fait le deuil. Yooka-Laylee ne serait ainsi qu’un exercice de style, aveugle à quinze années d’évolution du média, comme s’il n’avait pour unique ambition que d’amuser un public conquis d’avance. En somme, un pur divertissement un peu régressif.

C’est sans doute vrai.

Mais, à l’heure où l’on s’enorgueillit des évolutions d’un média de plus en plus mature, ça ne peut pas faire de mal de se souvenir que c’est aussi ça, le jeu vidéo.

En bref

On a aimé :

  • Des niveaux vastes et généreux
  • Le courage, pour plaire aux fans, de faire un jeu qui ne propose presque rien de neuf…
  • … mais qui tente de rendre les niveaux plus lisibles malgré tout

On n’a pas aimé :

  • La maniabilité qui manque de précision
  • La gestion de la caméra d’un autre temps

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous êtes nostalgique des jeux de plateforme de la fin des années 1990
  • Vous êtes à la recherche d’un jeu qui ne vous tient pas la main
  • Si vous aimez l’humour pipi, caca, et clins d’œil appuyés

Ce n’est plutôt pas pour vous si…

  • Vous avez aimé la Nintendo 64 mais vous êtes passé à autre chose depuis

La note de Pixels :

80 pages collectées/145 à retrouver