Certains n’hésitent pas à parler d’un « phénomène sociétal », comme chez Enedis (ex-ERDF), la filiale d’EDF chargée du réseau de distribution d’électricité. L’autoconsommation du courant produit à domicile ou au sein d’une entreprise – le plus souvent à partir de panneaux solaires – est devenue possible et attractive grâce à une ordonnance de juillet 2016, ratifiée mi-février par le Parlement. Cet aspect encore méconnu de la transition énergétique portée par Ségolène Royal, ministre de l’écologie et de l’énergie, favorise le développement d’une production et d’une consommation d’électricité bas carbone et décentralisée.

Le « phénomène » est resté jusqu’à présent marginal : seuls 14 000 foyers consomment le courant qu’ils produisent. Beaucoup moins que les quelque 350 000 producteurs individuels d’électricité qui la revendent à EDF à un prix très intéressant dans le cadre de contrats d’une durée de vingt ans. Mais l’autoconsommation pourrait décoller dans les prochaines années. La loi oblige les gestionnaires du réseau électrique, Enedis en tête, à faciliter son développement, dans un cadre individuel ou collectif où des PME, les membres d’une copropriété, d’une coopérative ou d’une association s’entendent pour se partager le courant produit.

Jean-Baptiste Galland, directeur de la stratégie d’Enedis, a annoncé, mardi 18 avril, que le distributeur va accompagner « une dizaine » de projets d’autoconsommation collective en 2017, notamment à Perpignan (Pyrénées-Orientales), et « quelques dizaines » en 2018. Ces deux années permettront de tester le fonctionnement de ce nouveau mode de production-consommation avant une généralisation à partir de 2019. Le distributeur a en effet un rôle clé puisqu’il raccorde les panneaux solaires ou les éoliennes au réseau.

A l’interface entre fournisseurs et consommateurs

Il se trouve à l’interface entre les fournisseurs (EDF, Engie, Direct Energie…) et les consommateurs grâce aux compteurs communiquants Linky, qui permettra de gérer ces nouveaux micro-réseaux pour optimiser la consommation. « Nous en avons déjà posé 3,9 millions à un rythme qui est aujourd’hui de 19 000 compteurs par jour », indique Bernard Lassus, directeur du programme Linky. Il assure tenir le cap des 35 millions de Linky pour la fin de 2021.

Ce compteur permet de mesurer la consommation et la production de courant. Il est possible de connaître en temps réel l’état du réseau et les flux qui y transitent, permettant à Enedis un pilotage plus fin de ses installations. Il va mesurer, calculer et communiquer aux clients ayant choisi l’autoconsommation collective les volumes d’électricité produits et à répartir entre eux. Le distributeur s’engage aussi à les alimenter si la production locale s’avère insuffisante.

Il est encore difficile de dire à quel rythme l’autoconsommation d’électricité se développera en France, reconnaissent les dirigeants d’Enedis. Elle est plus répandue en Allemagne, où les énergies renouvelables sont en avance, mais reste marginale. Plusieurs facteurs la rendent de plus en plus attractive : hausse constante des prix de l’électricité, réduction continue du tarif de rachat de l’électricité domestique par EDF, forte baisse du prix des panneaux solaires rendant le photovoltaïque de plus en plus compétitif.

D’autres fournisseurs d’énergie devraient suivre

EDF ne s’y est pas trompé. Le groupe a lancé son offre « Mon soleil & Moi » en juin 2016 quand son grand concurrent Engie proposait au même moment « My Power ». D’autres fournisseurs d’énergie devraient suivre, modifiant peu à peu un modèle reposant exclusivement sur de puissantes centrales (surtout nucléaires) produisant de grandes quantités d’électricité acheminées par un réseau de lignes à haute, moyenne et basse tension totalement interconnectées.

Reste, pour Enedis, un problème important à régler : le tarif d’acheminement de l’électricité (Turpe), qui est payé par les consommateurs afin de rémunérer la gestion du réseau par le distributeur. Il n’est plus adapté et « il faudrait rééquilibrer » la structure de ce tarif, estime M. Galland. Son niveau dépend en effet du volume d’électricité transportée, alors que celui-ci pourrait baisser grâce aux économies d’énergie et à l’autoconsommation. Enedis, qui investit 3 milliards d’euros par an, a « plus de coûts fixes que variables », rappelle M. Galland.

En janvier, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) avait décidé une augmentation de 2,71 % du Turpe au 1er août, qui doit entraîner une hausse moyenne de 2 % de la facture des ménages. Une revalorisation insuffisante pour financer les investissements de la transition énergétique : l’autoconsommation, mais aussi l’intégration au réseau des énergies renouvelables, le stockage d’énergie, l’implantation de bornes de recharge de véhicules électriques… Trois recours ont été déposés devant le Conseil d’Etat par Enedis, le ministère de l’énergie et la CFE-CGC Energies pour obtenir l’annulation du nouveau tarif.