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Pourquoi auraient-ils cherché à m’engager moi, qui viens d’un petit village de Bretagne et ne suis di­plômée ‘‘que’’ de l’ESC Rennes ? Voilà la question qui me taraudait », se remémore Meg-Anne ­Lagrève, chargée de stratégie digitale chez Google, à Dublin, depuis deux ans. Embauchée à la fin de ses études de commerce, cette jeune femme expansive de 26 ans travaille au siège européen du moteur de recherche, dans un titanesque immeuble de 47 000 mètres carrés au design cubiste.

Si son incrédulité de l’époque fait aujourd’hui sourire Meg-Anne ­Lagrève, elle n’est pas injustifiée. Google reçoit chaque année, d’après Vincent Simonet, responsable du centre de recherche-développement de Google France, plus de 2,5 millions de CV. Et se retrouve régulièrement en tête des entreprises inspirant le plus les jeunes.

« Ces géants du Net mettent l’accent sur le traitement des salariés au niveau tant symbolique que matériel »

En Europe, d’après le baromètre employeurs 2016 de l’institut Trendence, Google serait le troisième employeur rêvé des étudiants en commerce et le deuxiè­me parmi ceux en ingénierie. Même constat à la lecture des résultats de l’enquête Universum 2016 sur les employeurs préférés des futurs jeunes diplômés : le leader des moteurs de recherche se place, pour la 8e année d’affilée, en tête de classement. Le site Web Glassdoor, qui collecte anonymement des avis d’employés à travers le monde, place, lui, l’entreprise en quatrième position mondiale des entreprises où il fait bon travailler, deux rangs après Facebook.

Voilà pourquoi Sarah Yanicostas, diplômée en juin 2016 de l’école d’affaires publiques de Sciences Po Paris et du programme grande école d’HEC, n’aurait jamais pensé y décrocher son premier emploi. « Je me figurais clairement la plate-forme, en revanche j’avais en tête une entreprise sans lieu concret où postuler, avoue-t-elle. Comme un rêve. » Agée de 24 ans, elle a rejoint en septembre 2016 le département relations publiques du bureau parisien.

Situés aux deux derniers étages d’un élégant immeuble du 2e arrondissement, les locaux de Facebook côtoient ceux du fonds d’investissement Exane et de la plate-forme de covoiturage française Blablacar. Il aura pourtant fallu montrer patte blanche pour recueillir les impressions des jeunes recrues de Facebook. Aux journalistes de s’armer de patience s’ils souhaitent comprendre de l’intérieur pourquoi le réseau social attire tant les étudiants. « Je ne suis pas sûr que les ressources humaines apprécieraient que je témoigne », s’est-on ainsi vu répondre plusieurs fois en amont de la visite.

Recrutement sélectif

Si Facebook et Google mettent en avant la transparence de leurs services numériques, les deux entreprises chérissent leur réputation d’employeurs de rêve, et en façonnent soigneusement les contours. Conséquence : on sait d’elles, en termes de management, finalement peu de choses. La décoration ludique, la cafétéria en libre accès et l’ambiance de camaraderie feutrée peuvent-elles seules expliquer l’attrait que ces géants du Net suscitent chez les 18-25 ans ? Non, mais celles-ci participent d’une « marque employeur très forte et alimentée par une foule d’utilisateurs conquis », selon l’analyse de Jean-Rémi Gratadour, qui dirige le Centre digital d’HEC.

Pour les jeunes qui en viennent à bout, la sélectivité des processus de recrutement renforce l’impression, entre fatuité et modestie, d’avoir été choisis pour faire partie des élus. Meg-Anne Lagrève a passé cinq entretiens, deux par ­téléphone, puis trois à Dublin pour lesquels on l’a défrayée. Au programme : cas pratiques retors, mais aussi questions visant à évaluer « l’originalité et la ‘‘Googliness’’, l’adaptation à la culture d’entreprise de Google, des candidats ».

La part de rêve offerte par Google et Facebook fait écho aux aspirations d’une jeune génération à la recherche de cohérence entre valeurs individuelles et culture de l’entreprise

Une fois embauché, « on évolue dans un cadre incroyable où l’on nous responsabilise. Cette facilité à vivre n’est comparable avec aucune de mes précédentes expériences », s’enthousiasme Sarah Yanicostas, dont le « dada à la base était plutôt la chose publique ». Lors de ses stages dans l’administration, elle a constaté la « lourdeur de la hiérarchie et la lenteur de l’avancement des projets ». Rémunération compétitive, avantages en nature et valorisation de l’autonomie, Facebook et Google mettent l’accent sur « le traitement des salariés au niveau tant symbolique que matériel », poursuit Jean-Rémi Gratadour. En cela, les deux acteurs du numérique s’inscrivent « dans le prolongement naturel de ce qu’il y a de plus agréable dans la vie de campus. Et lorsqu’ils s’adressent à un public jeune, cela fait mouche ».

C’est que la part de rêve offerte par Google et Facebook fait aussi écho à des aspirations profondes, celles d’une jeune génération à la recherche de cohérence entre valeurs individuelles et culture de l’entreprise. Ainsi, la notion d’« impact » est-elle chère à Alex Ohayon, 25 ans, data scientist chez Google à Tel-Aviv. Diplômé des Mines ParisTech et recruté il y a deux ans, il se dit fier chez Waze, application de navigation communautaire rachetée par Google en 2013, de « bâtir l’avenir du secteur du transport automobile ». « Je ne pourrais pas développer des algorithmes en finance de marché, dont l’objectif est d’optimiser des gains, ajoute-t-il. Même si, ici, le but reste que nos utilisateurs ­cliquent sur les publicités. »

Un paradoxe entre bien commun et intérêt commercial réconcilié à l’aune du progrès technologique, comme le résume Jean-Rémi Gratadour. Pour lui, en tant qu’employeurs, les géants du Net « font coexister le temps court de l’innovation et le temps long de l’histoire ». Au-delà des dimensions matérielles et symboliques, ils proposent « au niveau intime, une philosophie de vie, une vision de l’avenir qui suffit à beaucoup de jeunes diplômés en quête de sens ».