C’est le genre de passe d’armes dont les réseaux sociaux raffolent. Cette fois, elle a eu lieu entre le Prix Nobel d’économie (2001) Joseph Stiglitz et Marine Le Pen, la candidate du Front national (FN) à l’élection présidentielle française. Mercredi 19 avril, la polémique a enflé toute la journée sur Twitter, à la suite des messages postés par l’économiste américain. « Pour mémoire : je ne suis pas un partisan de Marine Le Pen, a-t-il écrit. Je ne soutiens pas les politiques de Marine Le Pen, ni son parti politique. » Il a ensuite appelé celle-ci à « cesser d’agir » comme s’il partageait ses idées, avant de préciser : « Par ailleurs, je suis juif et la famille de ma femme a fui la France pendant la guerre. »

Le Prix Nobel est contrarié. Cela fait des mois que la candidate frontiste le cite dans ses discours pour justifier son projet de sortie de l’euro. Motif : dans son précédent ouvrage (L’Euro. Comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe, Les liens qui libèrent, 2016), M. Stiglitz détaille les défauts de conception de la monnaie unique. Selon lui, elle a échoué « à apporter la prospérité promise », et doit être réformée d’urgence. Mais il évoque également la possibilité d’un « divorce à l’amiable » entre les membres, sous certaines conditions.

Ambiguïté

Du pain bénit pour le FN, qui a très vite considéré l’ouvrage comme une validation du sérieux de son projet. Au grand dam de M. Stiglitz. Mais il n’est pas le seul à s’être retrouvé dans cette position délicate. Dans un document intitulé « Tout ce qu’il faut savoir sur la fin de l’euro », téléchargeable sur le site du parti, les frontistes listent, en effet, tous les Prix Nobel d’économie qui, selon eux, « appellent à la fin de l’euro » : Paul Krugman, Amartya Sen, Thomas Sargent, ou encore Milton Friedman…

Faisant feu de tout bois, le FN joue en vérité sur une ambiguïté. Il présente les économistes émettant des critiques sur le fonctionnement actuel de la monnaie unique (et ils sont nombreux) comme favorables à la fin de celle-ci. La nuance est pourtant de taille : souhaiter réformer l’euro pour réparer ses failles n’est pas désirer sa destruction. De fait, mardi, vingt-cinq Prix Nobel d’économie – dont M. Stiglitz, M. Sen, ou encore le Français Jean Tirole – ont publié une tribune dans Le Monde pour dénoncer la récupération politique de leurs idées par Marine Le Pen. Ils rappellent que « les programmes antieuropéens déstabiliseraient la France », et qu’« il y a une grande différence entre choisir de ne pas rejoindre l’euro en premier lieu et en sortir après l’avoir adopté ».

Le soir même, sur TF1, la candidate s’est étonnée du supposé changement de ton de M. Stiglitz. « ll devait venir à l’un de mes colloques, mais finalement, j’ai trouvé que 100 000 euros [pour son intervention], c’était trop cher », a-t-elle ajouté. Quelques heures plus tard, ce dernier a une dernière fois réagi sur Twitter : « Les attaques de Marine Le Pen montrent de nouveau qu’elle n’est pas apte à la fonction. » A quelques jours du premier tour, la mise au point du Prix Nobel a au moins le mérite de souligner une chose : les soutiens intellectuels au projet anti-euro du FN sont bien plus ténus que celui-ci ne le prétend.