Cette semaine, pourquoi pas partir en Bulgarie d’où nous arrive une farce politique aussi cruelle que désopilante, faire un crochet en Afrique du Sud, où se déploie dans le secret des rituels de passage des passions viriles. Terminer par un tour en France, où trois remarquables documentaires donnent une image très différente du pays dans la profondeur du temps et de l’espace.

LE CANTONNIER, LA CONSEILLÈRE ET LE MINISTRE : « Glory »

GLORY Bande Annonce (Comédie Dramatique) - 2017
Durée : 02:07

Tsanko, cantonnier bulgare accablé trouve un trésor en billets sur la voie ferrée qu’il inspecte. Homme très en retrait, mais fonctionnaire et citoyen impeccable, il remet recta la somme à sa tutelle. Laquelle, une pimpante et ultra-cynique conseillère en communication du ministre des transports, entreprend de l’utiliser pour porter aux nues le ministère et faire avancer sa carrière.

Les choses ne tourneront pas nécessairement à l’avantage de la « tueuse », mais pas davantage à celui de l’innocent ferroviaire, et encore moins à celui du bien commun, si ce n’est celui des spectateurs. Une comédie atrocement drôle en aura en effet résulté, aussi bien écrite que formidablement jouée. Le poste d’observation est bulgare, mais la farce, on l’aura compris, universelle. Jacques Mandelbaum

« Glory », film bulgare de Kristina Grozeva et Petar Valchanov. Avec Margita Gosheva, Stefan Denolyubov, Kitodar Todorov, Milko Lazarov (1 h 41).

RITES SÉCULAIRES, AMOURS ILLICITES : « Les Initiés »

LES INITIÉS Bande Annonce (Drame - 2017)
Durée : 02:03

On est à l’extérieur de Johannesburg, en pays xhosa. Des jeunes gens, qui sortent de l’adolescence, sont mis à l’écart de la communauté pour être circoncis. Ils devront rester isolés, sous la surveillance de tuteurs, jusqu’à ce que leur plaie cicatrise. Des familles urbaines renvoient leur rejeton dans le village d’origine pour en faire un homme.

C’est le cas de Kwanda, garçon à la beauté sculpturale, que son père – dont le 4 × 4 témoigne de la prospérité – confie aux bons soins de Xolani (Nakhane Touré), qui, lui, ne ramasse que les miettes de la nation arc-en-ciel. C’est au moment où le scénario dévoile la vraie raison de ces retraites champêtres que Les Initiés change de nature. La chronique sociale se fait histoire d’amours secrètes et de passions d’autant plus violentes qu’interdites. Thomas Sotinel

« Les Initiés », film sud-africain de John Trengove, avec Nakhane Touré, Bongile Mantsai, Niza Jay Ncoyini (1 h 28).

SE SOUVENIR DU PAYS : « Retour à Forbach »

Bande-annonce Retour à Forbach, un film de Régis Sauder
Durée : 01:46

Régis Sauder vient de Forbach, en Moselle. Envers « ce pays de malheur », comme il l’appelle – il l’avait quitté vingt ans plus tôt sans se retourner, accompagnant le mouvement de désertification créé par la désindustrialisation de la région et la fermeture des dernières mines de charbon –, il s’est soudain senti une responsabilité ; le besoin de s’engager, avec ses propres armes, contre la vague montante du Front national.

Pendant trois ans, il est ainsi venu y tourner régulièrement, saisissant au vol les signes de la montée de l’extrême droite, mais aussi ceux de la résistance au mouvement. « Je filme pour me souvenir », dit l’auteur, pour lutter contre cette « maladie du siècle [qui consiste à] oublier plutôt que penser ». En grattant la croûte qui étouffe la mémoire des lieux, il fait entrer la lumière où elle semblait n’avoir plus droit de cité, opposant un humanisme farouche, pour ne pas dire héroïque, aux puissances obscures qui grondent non seulement à Forbach, mais partout en France. Isabelle Regnier

« Retour à Forbach », documentaire français de Régis Sauder (1 h 18).

PIALAT VS REICHENBACH : « L’amour existe » et « La Douceur du village »

« L'Amour Existe » (1960) Original Soundtrack by Georges Delerue
Durée : 03:31

Programme contrasté que celui qui combine Maurice Pialat et François Reichenbach, lesquels esquissent de la France des années 1960 un visage opposé. Le premier signe L’amour existe la même année qu’A bout de souffle de Jean-Luc Godard, base de l’édifice Nouvelle Vague. Il suffit de comparer les deux films pour se rendre compte de ce qui rend irréconciliables Pialat et ses contemporains.

A la volonté, en plein Paris, d’une remise à zéro ludique et fantaisiste du cinéma français, répond la rêverie colérique, quasi pamphlétaire de Pialat, qui, en voix off, infuse magnifiquement sa rage dans un portrait de la banlieue parisienne. « Il n’a pas fait bon de rester là, emprisonné après y être né, quelques kilomètres de trop à l’écart » : de Courbevoie à Pantin, en passant par Suresnes et Montreuil, un cinéaste marginal filme la marge et dresse inconsciemment le manifeste d’un homme qui n’a jamais représenté que lui-même.

Un fossé sépare aussi bien la banlieue parisienne regardée par Pialat de La Douceur du village de François Reichenbach, qui filme le quotidien de Loué, un petit village de la Sarthe appréhendé comme un petit cosmos parfaitement paisible et harmonieux, un bout de la France éternelle. Murielle Joudet

« L’amour existe » (1960), de Maurice Pialat (19 minutes).
« La Douceur du village » (1965), de François Reichenbach (47 minutes).