Le 15 avril, un homme précipite sa voiture piégée contre un convoi transportant des Syriens fuyant Foua et Kafraya, deux villes loyalistes chiites enclavées dans la province d’Idlib et assiégés par des groupes radicaux de l’opposition qui dominent cette région. L’attentat, l’un des plus meurtriers depuis le début du conflit, a tué 126 personnes, dont 68 enfants, dans la ville de Rachidine, selon l’Observatoire syrien des droits humains (OSDH).

Parmi les premières images qui ont émergé de l’horreur, celle d’un homme à genoux, un appareil photo à la main, pleurant à côté du corps calciné d’un enfant. Abd Alkader Habak est l’un des photojournalistes syriens qui rendent compte de la guerre dans leur pays. C’est un de ses collègues, Ahmad Primo, qui l’a pris en photo quelques instants après l’explosion.

Dans son tweet, il dit :

« Voilà mon collègue Abd Alkader Habak en train de pleurer d’impuissance et de douleur les victimes de l’attaque terroriste. »

Une autre image, qui a commencé à circuler quelques heures plus tard, montre le photographe courant avec un enfant dans les bras.

« On n’avait pas d’autre choix que d’aider les gens nous-mêmes »

De toutes les images de l’attaque, c’est celle d’Abd Alkader Habak à genoux, et non d’autres, plus violentes et plus explicites, qui a marqué les esprits et a été reprise dans les médias internationaux comme le symbole de ce drame. De nombreux organes de presse ont interviewé le journaliste de 23 ans. Celui-ci a d’abord raconté ce qu’il avait vu à la BBC, dans une interview sur Skype, intégrant les images (elles sont visibles ici – attention, images violentes) qu’il a tournées quelques minutes après l’explosion. Pour résumer ce qu’il a ressenti à ce moment-là, il dit :

« Les mots ne peuvent pas décrire ce qui s’est passé. »

Sur CNN, Abd Alkader Habak a dit qu’au moment où la photographie avait été prise, il était « submergé par l’émotion ».

Interrogé ensuite par Global Voices, Abd Alkader Habak, originaire d’Idlib, a expliqué qu’il se trouvait depuis plusieurs jours à Rachidine, où il couvrait l’évacuation des civils. Il décrit une scène de chaos lorsque la camionnette a explosé :

« C’était une scène atroce. Des enfants mouraient partout autour de moi. J’ai vu des membres du Croissant-Rouge syrien s’enfuir, et ils ne sont pas revenus avant qu’il soit trop tard. Alors, moi et mes collègues, on s’est dit qu’on n’avait pas d’autre choix que de laisser nos appareils photo et d’aider les gens nous-mêmes. On a commencé par les enfants. On aidait à mettre en sécurité tous ceux qui étaient blessés. On essayait de laisser ceux qui n’étaient pas en danger immédiat et de s’occuper de ceux qui risquaient de mourir. Il y avait beaucoup d’enfants, car l’explosion a retenti juste à côté d’un groupe qui distribuait des friandises au moment où l’explosion est survenue. »

Il dit également que, à part porter les blessés, ils n’ont pas pu faire grand-chose de plus avant l’arrivée des secours, qui ont mis « longtemps » à se manifester. Il raconte alors comment il a porté l’enfant que l’on voit dans ses bras jusqu’à une ambulance.

« Je me suis approché d’un enfant qui avait le visage couvert. On m’a dit qu’il était mort et que ce n’était pas la peine d’aller voir, mais j’y suis allé quand même, et j’ai vu qu’il respirait encore, mais avec grande difficulté. J’ai pris l’enfant dans mes bras et j’ai couru jusqu’à la première ambulance que j’ai vue, j’ai dit au chauffeur de partir tout de suite. »

Dans une autre interview donnée à la BBC, il dit ne pas savoir si l’enfant, dont il ne connaît pas le nom, a survécu.

La plupart des victimes de cet attentat sont originaires de Foua et de Kefraya. Des secouristes et des rebelles déployés à Rachidine ont également été tués. Le pouvoir syrien accuse des « groupes terroristes » – l’appellation qu’il réserve à l’ensemble des combattants anti-Assad – d’avoir commis l’attentat, sans nommer de factions.

Cette attaque risque d’exacerber les tensions confessionnelles dans la zone, puisqu’elle est survenue alors qu’une évacuation de civils était bloquée. Les évacuations sont prévues par l’accord dit des « quatre villes », dont l’application est complexe. Le groupe salafiste Ahrar Al-Cham, qui est partie à l’accord et dont plusieurs hommes ont été tués dans l’attaque, a rejeté toute responsabilité. Dans un communiqué, il appelle à une enquête internationale.

Syrie : carnage après un attentat-suicide contre un convoi de civils
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