Après un long désintérêt, la France pose un regard neuf sur l’art contemporain africain. Ce printemps foisonne d’expositions : à La Villette, à la Fondation Louis Vuitton, au Quai Branly, au musée de la Chasse et de la Nature, dans les galeries… Après avoir mis l’Afrique à l’honneur à la foire Art Paris au Grand Palais, la commissaire d’exposition d’origine germano-camerounaise Marie-Ann Yemsi offre un focus sur la jeune génération d’artistes dans « Le jour qui vient », à la Galerie des Galeries (Lafayette), à Paris. Elle décrypte cet engouement.

Marie-Ann Yemsi à la Galerie des Galeries (Lafayette), à Paris, le 30 mars, devant une oeuvre de Turiya Magadlela. | Karen Paulina Biswell pour M Le magazine du monde

Comment expliquer cette effervescence soudaine autour de la création africaine ?

Une telle concomitance d’événements autour de l’Afrique est en effet inédite en France, qui n’avait rien connu de majeur depuis « Africa Remix », à Beaubourg, en 2005. Je veux tout de même rendre hommage aux fondations Blachère, à Apt, et Cartier, avec l’exposition « Beauté Congo » en 2015. Mais ces événements étaient souvent liés à la Francophonie, ancienne zone d’influence de la France, sans regarder ce qui se passait ailleurs sur le continent. Nous avons tenté de créer un moment, une dynamique, pour rendre visibles ces artistes invisibles.

Certains artistes africains sont pourtant des mastodontes sur le marché international. Pourquoi sont-ils si peu reconnus en France ?

On ne les connaît tout simplement pas. Les Français peuvent citer Ousmane Sow ou les photographes Seydou Keïta et Malick Sidibé mais, ici, on me demande d’épeler le nom d’El Anatsui, artiste ghanéen Lion d’or à Venise exposé au British Museum.

« Il faut mener un travail de décolonisation des imaginaires, “défolkloriser” le regard. »

La presse professionnelle, qui se déplace à Kochi, en Inde, ou à São Paulo, était peu présente à la biennale de Dakar, qui n’est qu’à trois heures d’avion ! La France ne sait pas regarder l’histoire et ce qui se passe ailleurs dans un monde qui n’a plus de centre. Il faut mener un travail de décolonisation des imaginaires, « défolkloriser » le regard. L’artiste africain est encore souvent envisagé comme exotique.

Avec « Le jour qui vient », vous mettez en lumière une nouvelle génération. De quelle réalité du monde témoigne-t-elle ?

Ces jeunes artistes voyagent, bougent, ont grandi avec Internet, écoutent la même musique qu’ici. Pleinement engagés dans le mouvement du monde, dans les migrations, l’exil choisi ou contraint, ils traduisent ces problématiques par des stratégies silencieuses de questionnement. Mais on est d’abord intrigué par des œuvres chatoyantes. Certaines sont politiques, d’autres dans des narrations plus autobiographiques.

J’ai voulu montrer cette grande diversité, l’enchevêtrement des points de vue. Ils sculptent un monde en mutation fait de circulation des idées, des cultures, des objets. La circulation, les beaux mots « d’accolement des mondes » du poète Edouard Glissant, sont importants en ces temps de crispations identitaires.

Le contexte dans lequel ils évoluent – en Afrique du Nord ou noire, anglophone ou francophone, dans les diasporas – a-t-il une influence ?

On ne fait pas référence à leur nationalité, il ne s’agit pas de faire une cartographie réductrice de la création contemporaine mais de témoigner d’une identité africaine choisie, quand bien même ces artistes seraient originaires des Caraïbes, issus de la deuxième génération ou auraient été élevés en banlieue parisienne. Ils créent avec tout ce qui les habite et les traverse. Un artiste peut aussi dessiner des fleurs dans un pays en guerre.

Devant « The pussy was worth it », de Frances Goodman Hope. | Karen Paulina Biswell pour M Le magazine du monde

Leur diversité se manifeste-t-elle aussi par les médiums utilisés ?

Oui, je suis admirative de leur virtuosité à revisiter des médiums classiques comme le dessin pour Yesmine Ben Khelil, la vidéo ou la photographie pour Mohau Modisakeng, mais aussi à s’emparer de matériaux divers pour composer des œuvres hybrides. Clay Apenouvon parvient à interroger l’émigration avec du film plastique. Turiya Magadlela questionne l’intime avec des collants en nylon, Moffat Takadiwa la domination des produits de consommation avec des brosses à dents.

Vous assurerez en décembre la direction artistique des Rencontres africaines de la photographie, à Bamako. Ce « Printemps africain » ne sera pas éphémère ?

Cela fait plus de dix ans que j’investis tout sur ces artistes, et je crois aujourd’hui que leur moment arrive. Ce « Jour qui vient » est un clin d’œil. L’Africana, c’est aussi le design, la mode, le wax, la danse contemporaine, les écrivains. Tout le monde s’inspire de l’Afrique. Ce continent est fécond, il a les ressources, la matière créative, est porteur de nouveaux imaginaires, de nouvelles esthétiques, d’inventivité économique, écologique. Les derniers Ateliers de la pensée, à Dakar, en octobre 2016, témoignent de ce foisonnement intellectuel. Pour en revenir à l’art, les fondations ouvrent à un rythme effréné. Les artistes montrent l’Afrique telle qu’elle est, pas telle qu’on la fantasme. Il faut écouter ce qu’ils ont à nous dire. Je crois vraiment profondément que notre futur sera africain.

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« Le jour qui vient » à la Galerie des Galeries, 40, boulevard Haussmann, Paris 9e. Jusqu’au 10 juin.

« Afriques capitales » à la Grande Halle de La Villette, Paris 19e. Jusqu’au 28 mai.

« Art/Afrique, le nouvel atelier » à la Fondation Louis Vuitton, 8, avenue du Mahatma-Gandhi, Paris 16e. Du 26 avril au 28 août.

« L’Afrique des routes » au Musée du quai Branly, Paris 7e. Jusqu’au 12 novembre.

« Roger Ballen et Hans Lemmen. Unleashed » au musée de la Chasse et de la Nature, 62, rue des Archives, Paris 3e. Jusqu’au 4 juin.

« Les Mutants » de Soly Cissé au musée Dapper, 35 bis, rue Paul-Valéry, Paris 16e. Jusqu’au 14 juin.