Certains viticulteurs utilisent des bougies de paraffine pour protéger leurs pieds de vigne du gel. | ARND WIEGMANN / REUTERS

Champagne, Bourgogne, Languedoc... Des mois de travail anéantis en quelques minutes. Le gel de printemps a touché de nombreuses régions viticoles dans la nuit de mercredi à jeudi 20 avril. « L’an dernier, le Centre et la Loire ont été fortement affectés, rappelle Jérôme Despey, secrétaire général et président de la commission viticole de la FNSEA. Cette fois, le gel a des conséquences sur l’ensemble du vignoble français. » Le beau temps des dernières semaines avait fait éclore les bourgeons en avance.

« C’est la déprime »

« Au moins un tiers du domaine est foutu », lance avec dépit Fabrice Melet, responsable viticole de la Maison du vigneron, dans le Jura. Arpentant les vignes, balayées par le vent, il compte les pertes sur les 12 hectares du domaine de Savagny, déjà abîmé par le gel de la veille. « Ceux qui sont dans la plaine sont encore plus touchés : 70 % de pertes sur deux jours, affirme le vigneron. C’est la déprime, nous n’avions pas besoin de cela. »

Les rendements sont au plus bas. Le volume d’hectolitres de vin blanc à l’hectare a chuté d’au moins un tiers ces dernières années dans ce secteur. Pas de gel l’an dernier, mais une sévère attaque de mildiou, maladie qui ravage particulièrement la vigne. L’épidémie s’était propagée sur tout le territoire français. Pour M. Melet et les exploitants aux alentours, la dernière année « plutôt bonne » date de 2011. Les vignerons manquent de stocks et risquent de perdre leurs clients. « Ce n’est même plus la peine de sauver ce qui reste, car nous ne sommes plus rentables », résume le responsable viticole. Si la température au sol descend sous les - 2 °C, comme la nuit dernière, les vignerons sont impuissants.

Des chaufferettes au fuel

Entre 0 °C et - 2 °C, certaines techniques permettent de limiter les dégâts. En Bourgogne, les viticulteurs sont davantage habitués aux épisodes de gel de printemps. Pour protéger le vignoble chablisien, par exemple, des chaufferettes au fuel ou des bougies de paraffine sont allumées. Installées tous les dix mètres environ, un rang sur deux, celles-ci dégagent de la chaleur au sol, au niveau des pieds de vigne. Il en faut donc beaucoup, avec une efficacité limitée dès qu’un peu de vent se lève.

Autre système mis en place : l’aspersion d’eau. Les gouttelettes forment une coque de glace qui protège le bourgeon. Mais il est nécessaire de disposer de ressources en eau suffisantes pour tenir jusqu’à la remontée des températures au-dessus de 3 °C. En cas de rupture d’alimentation, l’effet inverse se produit et la vigne est détruite, comme l’an dernier dans certaines parties du Saumurois.

Certains ont investi dans des tours éoliennes, à l’image des vignerons de Loir-et-Cher regroupés dans la coopérative d’utilisation de matériel agricole en commun (CUMA) Protecgel. Une tour, qui coûte entre 30 000 et 40 000 euros, protège environ 5,5 hectares. L’hélice brasse l’air, plus chaud en altitude, et le plaque au sol pour le réchauffer. Elle assèche également l’atmosphère, ce qui rend les bourgeons moins sensibles au froid.

Une escouade d’hélicoptères

Même principe avec les hélicoptères, dont les pales viennent aspirer l’air à une dizaine de mètres du sol. A 6 h 33, jeudi matin, sept appareils ont décollé près des exploitations de Montlouis-sur-Loire, en Indre-et-Loire. C’est la seule appellation en France à tenter cette technique à grande échelle. « L’essai est concluant, la récolte est sauvée, pour l’instant », assure Damien Moyer, qui passe en revue l’état des ceps de vigne sur le domaine appartenant à sa famille depuis huit générations.

Les quarante vignerons du secteur mobilisent les hélicoptères et leurs pilotes la veille du gel probable, à 14 heures. Une solution novatrice mise en place à la suite d’épisodes de gel récurrents. La moitié de la récolte a été perdue en 2012 et en 2013, puis 75 à 80 % en 2016. Entre les deux, une épidémie locale de mildiou les a empêchés de renouveler leurs stocks. Les viticulteurs déboursent environ 160 euros de l’heure par hectare, avec l’espoir de réchauffer le sol de - 2 °C à 0 °C en une ou deux heures de survol. « Ce n’est pas grand-chose, quand il s’agit de sauver son chiffre d’affaires et son entreprise », dit M. Moyer, tout en déplorant : « Avant, nous avions un gros coup de gel tous les dix-quinze ans seulement. » La météo lui annonce un répit... jusqu’en milieu de semaine prochaine.