Anies Baswedan, un ancien ministre de l’éducation, prend les rênes de la mégalopole de plus de 10 millions d’habitants | ADEK BERRY / AFP

La défaite est cuisante et donne, une fois de plus, tort aux sondages et aux prédictions : alors que la plupart des sondeurs et observateurs pensaient que la victoire pour le poste de gouverneur de Djakarta allait se jouer sur le fil du rasoir, l’actuel tenant du poste, Basuki Purnama, a subi, mercredi 19 avril, un camouflet. Il a concédé environ 10 % des votes à son adversaire, Anies Baswedan, un ex-ministre de l’éducation et de la culture. Les résultats définitifs ne seront annoncés qu’au début du mois prochain, mais les premiers décomptes sont considérés comme le reflet de l’ensemble du scrutin.

En jouant la carte religieuse, mais sans adhérer aux thèses d’islamistes auprès desquels il s’est cependant montré à plusieurs reprises durant sa campagne électorale, M. Baswedan, 47 ans, qui est aussi un intellectuel, diplômé en sciences politiques et ancien recteur d’université, a réussi à remporter cette nette victoire contre son concurrent. M. Purnama, que tout le monde appelle par son surnom, « Ahok », avait un handicap à la fois ethnique et religieux : il fait partie de la minorité chinoise et il est chrétien protestant. En outre, depuis décembre 2016, il est accusé de blasphème par des islamistes et le puissant Conseil indonésien des oulémas.

Radicalisme

Les musulmans conservateurs et radicaux lui reprochent d’avoir cité, lors d’une réunion électorale, une sourate du Coran afin de convaincre les électeurs de voter pour lui en raison de son bilan à la tête de la municipalité de Djakarta ; et d’oublier qu’il est chinois, une minorité ethnique parfois honnie par les Indonésiens qui jalousent le poids qu’elle pèse dans l’économie. L’Indonésie compte environ 200 millions de musulmans pour une population de 255 millions d’habitants.

L’actuel gouverneur jouissait d’une bonne réputation : il avait contribué à nettoyer la ville, mis sur pied des plans de gestion des inondations, élargi le périmètre de la couverture médicale. Il est crédité de bons résultats dans sa politique d’éducation. De nombreux musulmans s’étaient d’ailleurs prononcés en sa faveur au premier tour, puisqu’il était arrivé en tête, raflant 47 % des voix. Sa défaite prouve que l’entreprise de discrédit a fonctionné. Avant les accusations de blasphème, on attribuait 70 % des voix au gouverneur.

Ce résultat est une mauvaise nouvelle pour le président Joko Widodo, ancien gouverneur de Djakarta que Basuki Purnama, à l’époque vice-gouverneur, avait remplacé sans être élu en 2014. Le parti du chef de l’Etat avait soutenu ce dernier. Une victoire à Djakarta est par ailleurs perçue comme un tremplin pour accéder au poste suprême aux prochaines élections.

C’est aussi une mauvaise nouvelle pour une Indonésie traditionnellement tolérante, dont la pratique de l’islam est, en général, fort différente de celle qui est en vigueur dans les pays arabes. Le fait qu’une partie de l’électorat musulman se soit mobilisée pour voter contre un candidat au motif qu’il était chrétien et chinois démontre qu’il existe une dérive vers le conservatisme religieux, voire un certain radicalisme.

Appel à l’apaisement

« Le sentiment religieux l’a emporté sur le jugement de compétence administrative », déplore dans un e-mail Ayu Utami, écrivain et féministe, qui est de religion catholique. « Un même modèle pourrait se répéter ailleurs dans le pays. Dans ce cas, j’ai peur que l’Indonésie se pakistanise », redoute-t-elle. Depuis quelques années, des attaques contre des églises ou des sectes minoritaires de l’islam ont terni l’image de tolérance de l’islam nusantara, ou islam « de l’archipel ». « De nombreux intellectuels sous-estiment la portée de la montée de l’extrémisme religieux », prévient l’intellectuel Goenawan Mohamad, fondateur du très sérieux journal Tempo.

Dans un discours prononcé après le vote, le vainqueur, Anies Baswedan, a préféré calmer les esprits dans une capitale qui a vu défiler, en fin d’année 2016, des centaines de milliers d’islamistes en robe blanche demandant parfois que soit « lynché » le gouverneur : « Nous devons célébrer la diversité, nous devons travailler ensemble », a-t-il déclaré.

Seule bonne nouvelle pour le gouverneur sortant, dont le procès pour blasphème a repris jeudi : le procureur n’a demandé qu’une peine symbolique de « probation », de deux ans de mise à l’épreuve.