Des membres du mouvement populiste de droite Pegida manifestent contre la politique de migration d’Angela Merkel, à Munich, le 19 janvier 2015. | Matthias Schrader/AP

Outre-Rhin, la question des réfugiés se fait de plus en plus rare à la « une » des journaux. Le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), qui a prospéré, en 2016, en dénonçant le « chaos migratoire », est passé en six mois de près de 15 % à moins de 10 % des intentions de vote pour les élections législatives du 24 septembre. Angela ­Merkel, à laquelle ses détracteurs reprochent d’avoir « ouvert les frontières » du pays début septembre 2015, s’y est engagée : « Une situation comme celle de la fin de l’été 2015 ne peut ni ne doit se répéter », a martelé la chancelière, fin 2016, au moment où elle annonçait sa ­candidature à un quatrième mandat.

De ces différents éléments, on pourrait être tenté de tirer la conclusion suivante : l’Allemagne serait en passe de tourner la page de la crise des réfugiés. Un livre, ou plutôt son succès, incite pourtant à nuancer cette analyse. Son titre, que l’on pourrait traduire par « Emportés par les événements » : Die Getriebenen (Siedler, 286 pages, non traduit). Son auteur : Robin Alexander, journaliste au quotidien conservateur Die Welt. Depuis sa parution, le 13 mars, l’ouvrage est en tête des ventes. Le best-seller de ce début d’année en Allemagne.

Récit étourdissant

Or, que raconte cet essai ? Sous la forme d’un récit étourdissant de précision – jusqu’aux SMS de Mme Merkel, dont on apprend au passage qu’ils sont souvent truffés de smileys –, l’auteur brosse un tableau présenté comme accablant de la façon dont le gouvernement allemand a fait face à la crise des réfugiés.

L’un des épisodes que relate en détail Robin Alexander pour nourrir sa démonstration date du13 septembre 2015, une semaine après l’ouverture des frontières aux réfugiés. Ce jour-là, l’Allemagne est sur le point de refermer ses frontières. La police est prête à intervenir. Les principaux ministres concernés, ainsi que les partenaires de Mme Merkel au sein de la « grande coalition » au pouvoir à Berlin, sont d’accord sur le principe. Pourtant, au dernier moment, personne ne prend la responsabilité de passer à l’acte : ni le ministre de l’intérieur ni la chancelière ne veulent assumer la décision, au prétexte qu’elle serait légalement risquée et politiquement délicate à défendre en cette fin d’été où le sort des réfugiés bouleverse une large majorité d’Allemands.

La thèse du livre est claire : contrairement au discours officiel, le gouvernement aurait pu, dès septembre 2015, réduire le nombre de ­réfugiés arrivant dans le pays – donc avant l’accord avec la Turquie de mars 2016. S’il ne l’a pas fait, suggère l’auteur, cela tiendrait pour beaucoup à Mme Merkel, dépeinte comme ­opportuniste, naviguant à vue au gré des ­sondages et de son intérêt du moment plutôt que portée par des convictions ou une vision.

Fraîchement accueilli à gauche, comme en témoigne la critique sévère que lui a consacré le quotidien Die Tageszeitung, l’ouvrage a en revanche été salué dès sa sortie par le chef du Parti libéral-démocrate, Christian Lindner. Pour lui, cette enquête prouve qu’il a eu raison de dénoncer dès le début la politique de ­l’Allemagne à l’égard des réfugiés.

Le succès d’un livre est toujours difficile à ­interpréter. A six mois des législatives, celui-ci sonne toutefois comme un avertissement pour la chancelière. D’abord, parce qu’il montre que les Allemands, loin d’avoir tourné la page, sont en quête d’explications sur ce qui s’est réellement passé pendant la crise des ­réfugiés. Ensuite, parce que la thèse d’une gestion erratique et brouillonne de ladite crise correspond, à l’évidence, à ce qu’une partie de l’opinion publique veut entendre, en particulier dans le propre camp de Mme Merkel.