La Cour suprême du Pakistan a ordonné jeudi 20 avril une enquête pour corruption contre le premier ministre Nawaz Sharif, mis en cause dans le scandale des « Panama papers », sans pour autant demander sa destitution.

Il est reproché à M. Sharif d’avoir caché la vérité sur les sociétés et biens immobiliers détenus via des holdings off-shore par ses enfants, notamment sa fille Maryam Nawaz, pressentie comme son héritière en politique.

Dans sa décision très attendue par les Pakistanais de tous bords, la cour lui a donné un sursis, estimant qu’il n’y avait pas assez de preuves pour l’écarter du pouvoir dans l’immédiat.

« Une enquête approfondie est nécessaire »

Le document de 540 pages débute par une citation de Balzac, placée en épigraphe du roman Le Parrain de Mario Puzo : « Derrière toute grande fortune se cache un crime. » Les juges y ordonnent la création sous les sept jours d’une commission d’enquête conjointe, comprenant notamment des représentants du bureau anti-corruption et des puissants services secrets militaires, qui devra présenter ses conclusions dans les soixante jours.

« Une enquête approfondie est nécessaire », a estimé le juge Asif Saeed Khosa en annonçant cette décision, accueillie par des slogans de partisans du gouvernement et de l’opposition. Seuls deux des cinq juges ont qualifié M. Sharif de « malhonnête », et réclamé son éviction pour cette raison.

En 2012, la Cour suprême avait condamné le premier ministre de l’époque, Raza Gilani, pour outrage à la justice car il avait refusé de rouvrir une enquête pour corruption contre le président d’alors, Asif Zardari. Cela avait entraîné la disqualification du premier ministre.

« Nous respectons le verdict de la cour », a indiqué le ministre des transports ferroviaires, Khawaja Saad Rafique, immédiatement après le verdict. L’affaire, qui fait les gros titres depuis des mois, n’est pas terminée pour le parti au pouvoir, le PLM-N de M. Sharif, à un an des élections. La commission d’enquête devra rendre un rapport à la cour toutes les deux semaines.

Appartements londoniens de luxe

Le scandale avait éclaté l’an dernier, lorsque le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a publié 11,5 millions de documents secrets émanant du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, les « Panama Papers », qui révélaient comment des dirigeants et des célébrités placent leurs biens dans des paradis fiscaux. Trois des quatre enfants de M. Sharif sont mis en cause. Au cœur du procès pakistanais figurent des appartements londoniens de luxe, détenus par la famille Sharif via des sociétés off-shore gérées par le cabinet panaméen.

Appuyé par plusieurs autres partis d’opposition, le PTI de l’ancienne star du cricket Imran Khan a souligné l’opacité du financement de ces biens, appelant le premier ministre à prouver qu’il ne s’agit pas de blanchiment d’argent. Le PLM-N, au pouvoir, assure que les fonds proviennent d’entreprises familiales installées au Pakistan et dans le Golfe.

M. Sharif, un industriel élu en 2013, achève son troisième mandat mi-2018. Ses deux précédents mandats avaient été interrompus par des interventions de la puissante armée pakistanaise, qui a dirigé le pays pendant la moitié de son existence.

Cette crise politique intervient alors que le Pakistan, qui célèbre cette année ses soixante-dix ans, a vu sa situation sécuritaire et économique s’améliorer ces deux dernières années, avec une baisse des attentats et une stabilisation de la croissance.