Le chanteur Bob Dylan lors d’un discours à Los Angeles (Californie) en février 2015. | FRAZER HARRISON/AFP

Il a profité de sa tournée européenne pour enfin récupérer à Stockholm son prix Nobel de littérature 2016, diplôme et médaille, mais, pour le discours de réception qu’il doit remettre avant le 10 juin, ce n’est pas gagné. Heureusement pour le lauréat, la commande peut être livrée sous forme de chanson. Car Bob Dylan, de passage au Zénith de Paris jeudi 20 avril, s’est définitivement métamorphosé à 75 ans en personnage muet de burlesque (au choix Chaplin ou Keaton). Sauf quand il chante.

Pas un mot échangé avec le public sagement assis dans la fosse. Les responsables de La Seine musicale, qui ont demandé à l’auteur d’Ain’t Talkin’ d’ajouter une date pour inaugurer le lendemain la plus grande de leurs deux salles sur l’île Seguin, à Boulogne-Billancourt, pouvaient rêver d’un meilleur agent de communication. Même s’il est ouvert par Things Have Changed, magnifique confession de 2000 qui lui avait déjà valu un Oscar et un Golden Globe (« Les gens sont dingues et les temps étranges/Je suis enfermé à double tour, je suis hors d’atteinte/Je m’en souciais mais les temps ont changé »), il est peu probable que le tour de chant diffère de celui du Zénith. Lui-même assez similaire au répertoire ­offert au Dôme de Paris-Palais des sports, lors de sa précédente visite dans la capitale à l’automne 2015. La « tournée sans fin », lancée à la fin des années 1980 et toujours en cours, fonctionne sur le principe de l’éternel retour.

Un bluesman hors du temps

Actuellement, une petite vingtaine de titres puisés dans un songbook riche d’un demi-millier, qui a changé à jamais la musique populaire. Et dans les standards immortalisés par Frank Sinatra, repris par Dylan dans ses trois derniers albums, dont le triple Triplicate, paru fin mars. Tous sont soumis à reconstruction car, selon lui, « la nostalgie, c’est la mort ». Le cirque ensorien de Desolation Row ou le cauchemar kafkaïen de Ballad of a Thin Man attestent en tout cas que le Nobel n’a pas été décerné à un sympathique troubadour. Mais ce sont les plus récentes compositions, issues de l’album Tempest (2012), qui sont de loin les plus représentées. Leur père peut en être fier, car Duquesne Whistle ou Long and Wasted Years soutiennent la comparaison avec les classiques.

La voix ne lutte plus contre les outrages du temps par des embardées erratiques

La voix ? Question rituelle. Elle ne lutte plus contre les outrages du temps par des embardées erratiques. Reste un souffle ­sépulcral, spectral, idoine pour les versets de Highway 61 Revisited. Celui d’un bluesman hors du temps, si éloigné du mortifère jeunisme rock de ses pairs, qui n’entend plus l’intérêt de chanter Like a Rolling Stone. Sous son chapeau, sanglé dans un costume de mariachi, il se rêve crooner, jambes écartées face au micro chromé, pour Autumn Leaves, ces Feuilles mortes américaines.

Une arthrite des doigts lui interdisant la pratique de la guitare, il passe le plus clair de son temps derrière un piano martelé façon punk de saloon. C’est là le privilège du patron que ne lui contesteront pas ses hommes de main, un groupe impeccable avec le fidèle bassiste-contrebassiste Tony Garnier, une pedal steel, une batterie proche des tambours de guerre indiens, et deux six-cordes à son clair, la lead confiée au prodige économe Charlie Sexton. Devant des rideaux de club à l’ancienne, Dylan, joueur de notes sans discours, se réinvente en amoureux du jazz interprété avec un instrumentarium country-rock.