Un patient souffre d’hépatite dans un hôpital au Darfour du Nord, au Soudan, en 2013. | ALBERT GONZALEZ FARRAN / AFP

C’est un véritable fléau mondial. Les hépatites virales ont tué 1,34 million de personnes en 2015, soit presque autant que la tuberculose (1,8 million de morts), et davantage que le virus de l’immunodéficience humaine (VIH, 1,1 million). Au premier chef, les hépatites dues aux virus B (VHB) et C (VHC), qui sont à l’origine de 96 % des décès. Alors que la mortalité imputable à la tuberculose, au VIH ou au paludisme suit une courbe descendante, celle des hépatites prend le chemin inverse : en 1990, le nombre de décès imputables aux hépatites s’élevait à moins de 890 000 et, en 2000, à 1,1 million. Ce constat a été présenté par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), vendredi 21 avril.

« Pour la première fois, nous publions des estimations à la fois globales et régionales validées par l’OMS pour l’année 2015. Elles montrent que les hépatites constituent bien un problème mondial de santé publique », souligne le docteur Gottfried Hirnschall, directeur du département VIH et du programme mondial sur les hépatites de l’institution internationale. L’organisation estime que 328 millions d’individus dans le monde sont porteurs à l’état chronique du virus : 257 millions du VHB et 71 millions du VHC.

68 % des personnes infectées par l’hépatite B se trouvent dans les régions Afrique et Pacifique occidental (telles que définies par l’OMS), tandis que l’hépatite C est ubiquitaire, même si l’ampleur de l’épidémie varie beaucoup entre les pays et au sein même de chaque pays, les régions Europe et Méditerranée orientale étant les plus affectées.

Sans traitement, les infections chroniques par les virus B ou C des hépatites sont à l’origine de cirrhoses (720 000 morts) et de cancers primitifs du foie (470 000 morts). Cette tendance à la hausse de la mortalité avait déjà été mise en évidence dans des publications en 2016. Pour l’expliquer, les chercheurs faisaient intervenir les évolutions démographiques (augmentation de la population, modification de la structure d’âge).

Coûts trop élevés

On peut aussi y voir, notamment dans le cas des hépatites C liées à des expositions au sang et aux fluides corporels, soit l’effet de mauvaises pratiques de soins (réutilisation de matériel d’injection comme cela s’est produit en Egypte), soit celui de l’injection intraveineuse de drogues avec du matériel contaminé, faute d’une politique de réduction des risques. Pour 2015, l’OMS évalue à 1,75 million le nombre de nouvelles infections par le VHC liées aux 5 % d’injections dans le cadre de soins ne respectant pas les règles d’asepsie.

L’hépatite B est fréquemment contractée autour de la période de la naissance, par transmission d’une mère infectée à son bébé, ou lors des premières années de la vie (avant l’âge de 5 ans), par contact avec des enfants infectés. L’existence d’un vaccin contre l’hépatite B déployé à grande échelle dans le monde – couvrant 84 % des enfants – a contribué à une réduction des infections. La proportion d’enfants infectés est passée de 4,7 % avant son introduction au cours des années 1980 et 1990 à 1,3 % au niveau mondial en 2015, selon l’OMS, et à 3 % en Afrique. « Nous commençons à voir des générations sans hépatite B grâce à la prévention par le vaccin », se réjouit l’un des principaux auteurs du rapport, le docteur Yvan Hutin, du département VIH et du programme mondial sur les hépatites de l’OMS.

L’un des problèmes majeurs avec les hépatites vient de l’ampleur du nombre de personnes ignorant leur statut sérologique. « En 2015, 9 % des personnes vivant avec le VHB, soit 22 millions d’individus, et 20 % de celles porteuses du VHC, soit 14 millions, savaient qu’elles étaient infectées », pointe le docteur Hutin. Cette situation s’explique à la fois par les problèmes d’accès à des tests de diagnostic bon marché, même si les plus simples coûtent à présent cinquante centimes, mais aussi par un manque relatif d’implication des professionnels de santé, qui ne les proposent pas toujours.

L’identification de l’infection par le virus B ou le virus C conditionne la prise en charge. L’OMS constate que l’on est loin du compte : en 2015, 8 % des personnes chez lesquelles a été découverte une hépatite B (1,7 million d’individus) ont par la suite reçu un traitement, et 7,4 % de celles porteuses du VHC (1,1 million). Un paradoxe, alors que les remèdes n’ont jamais été aussi efficaces. Mais les freins sont de plusieurs ordres.

Renforcer la surveillance

Le coût des traitements d’abord, en particulier pour l’hépatite C. Depuis leur mise sur le marché, 5,5 millions de malades en ont reçu mais, en 2015, seul un demi-million a bénéficié des nouveaux antiviraux d’action directe. Ces derniers permettent de guérir en deux à trois mois, sont plus simples à utiliser et mieux tolérés. Mais leur prix reste trop élevé, malgré des baisses décidées dans un certain nombre de pays par le principal fabricant, l’américain Gilead. L’OMS note qu’il y a eu plus de nouvelles infections par le VHC en 2015 que de personnes qui commençaient un traitement contre l’hépatite C.

Dans le cas de l’hépatite B, le traitement doit être pris à vie et le médicament le plus efficace, le ténofovir, également utilisé dans les combinaisons contre le VIH, coûte 48 dollars (45 euros) par an.

Les objectifs internationaux concernant les hépatites sont ambitieux puisqu’ils visent à l’élimination de celles-ci comme problème mondial de santé publique d’ici à 2030. L’OMS préconise le renforcement du système de surveillance, le déploiement à grande échelle du dépistage et de la mise sous traitement pour toutes les personnes touchées. S’y ajoutent un financement durable des programmes et la mise au point d’innovations aussi bien pour les tests diagnostiques que pour les médicaments et vaccins (il n’existe pas de vaccin contre l’infection par le VHC). Sans oublier une logistique adaptée.

« Il y a vingt ans, prévenir et contrôler les hépatites virales paraissait totalement hors de portée, de même qu’inclure le vaccin contre l’hépatite B au sein des programmes de vaccination dans les pays pauvres. Nous savons que l’impossible s’est réalisé », plaide avec optimisme le docteur Hutin. A côté des pays riches, dont la France, qui ont appliqué des stratégies globales, l’OMS montre en exemple les programmes hépatites que des Etats lourdement affectés, comme l’Egypte, la Géorgie ou la Mongolie, ont mis en place avec des mécanismes de financement. Mais, comme le regrette le docteur Hirnschall, « la route est encore longue ».