Pour tester Spaces, l’application en réalité virtuelle de Facebook lancée en grande pompe mardi 18 avril, il vous faudra avant tout vous munir d’amis. Mais il vous faudra aussi un casque Oculus Rift (590 euros), les manettes Touch (120 euros), un ordinateur très puissant (800 euros minimum). Les amis sont eux gratuits (en principe) (sinon changez d’amis).

Après plusieurs appels au secours sur Facebook, nous parvenons enfin à trouver un ami disposant lui aussi du précieux équipement et de quelques dizaines de minutes. Si nous savons déjà qu’elle est la plus coûteuse, nous allons enfin pouvoir vérifier si la réalité virtuelle (VR) peut aussi « devenir la plateforme sociale la plus puissante », comme l’a annoncé Rachel Franklin, à la tête du projet Social VR de Facebook. Mardi, elle dévoilait sur la scène de la conférence F8 la version bêta de Facebook Spaces, une application vous permettant « de passer du temps avec vos amis dans un environnement interactif et fun, comme si vous étiez dans la même pièce », promettait Facebook dans un communiqué.

Le décor par défaut de Facebook Spaces est un parc tout à fait banal. | Facebook

C’est donc une version encore en cours de développement que nous testons, comme en témoignent les menus un peu confus et l’absence d’outils de recherche. Après avoir enfilé le casque et s’être connecté à Facebook, nous voici téléportés dans une sorte de carte postale à 360 degrés, un parc on ne peut plus classique peuplé de promeneurs aussi paisibles qu’immobiles accompagnés de leurs chiens en suspens. A contre-courant de nombre de développeurs exploitant la VR pour nous immerger dans des univers extraordinaires, Facebook joue la carte de la normalité.

Sensation de présence

Spaces nous propose pour commencer plusieurs photos de nous, extraites de notre compte Facebook : choisissez celle qui vous convient le mieux et l’application s’en inspire pour créer automatiquement un avatar censé vous ressembler. Sensé, car le résultat n’est pas immédiatement concluant ; mais vous pouvez le configurer en modifiant par exemple la forme de vos yeux, la couleur de vos cheveux ou celle de votre t-shirt, en coiffant au besoin un couvre-chef religieux. Les possibilités restent toutefois très sages – si vous souhaitez une peau bleue, une tête de lézard et des cheveux multicolores, passez votre chemin. Il faudra s’en tenir, encore une fois, à une certaine banalité.

Facebook Spaces crée un avatar à partir d’une de vos photos de profil Facebook, avatar que vous pouvez ensuite personnaliser. | Facebook Spaces / Capture d'écran

L’expérience peut alors vraiment commencer : votre ami, que vous invitez à vous rejoindre, se connecte et se matérialise dans un nuage d’emojis. Et malgré sa tronche de Playmobil, il faut reconnaître que la magie opère. Le fait d’avoir son avatar grandeur nature devant nous, de le voir se déplacer, agiter les bras, nous suivre des yeux, et le fait que ses lèvres bougent au son de ses paroles rend très vite naturel cet univers pourtant assez grossier. Les gens y sont moins reconnaissables que sur Skype, mais infiniment plus présents. D’autant plus qu’on commence à s’échanger des photos, des objets, et, bientôt de grosses bêtises.

L’ambition de Spaces, c’est de reproduire les joies désuètes de la soirée diapositive chez mamie. Jusqu’à quatre personnes peuvent ainsi se retrouver, malgré la distance, autour d’une même table virtuelle, pour fouiller dans leurs répertoires photos personnels, celui de leurs amis – dans les mêmes conditions de confidentialité que sur Facebook – ou de marques et personnalités qu’ils suivent sur Facebook. Des photos qui se matérialisent alors entre les mains dans leurs avatars, et qu’il est possible de se passer, d’agrandir, ou d’accrocher dans les airs comme autant de tableaux au bon goût incertain.

Les interactions (autres que verbales) sont assez rares, et à part « liker » une photo ou la supprimer, la seule fonctionnalité sociale intéressante est celle qui permet de « sauvegarder » ses photos préférées au sein d’une sorte d’album personnel.

Univers publicitaires

Pour peu que vous suiviez des marques, des médias, ou des amis excessivement technophiles qui postent des photos et vidéos en 360 degrés, il est aussi possible de s’amuser avec. Vous pouvez ainsi changer d’univers très rapidement, chacun d’entre eux est matérialisé par une sorte de boule de cristal que vous placez au centre de la table pour vous y téléporter avec vos amis. Vous pouvez par exemple vous plonger dans l’univers de Vaiana, le dernier long-métrage animé de Disney, dans un reportage d’Euronews sur le parapente mais aussi… dans des publicités.

Certaines sont malignes, comme celle qui vous téléporte dans une scène spectaculaire de l’univers de Star Wars, avant que ne surgisse au milieu de l’action la voiture d’une grande marque qui casse radicalement l’ambiance. D’autres peuvent se montrer assez oppressantes, comme ces vidéos de manifestations où l’on a l’impression de se faire gazer, ou ces petits courts-métrages de fiction où les participants se retrouvent dans une cave où rôde un homme masqué à l’allure de tueur en série. Sur Spaces comme sur Facebook, il y a de tout, et il faut savoir où l’on met les pieds.

Facebook Spaces propose également son lot de gadgets aussi sympathiques qu’inutiles. Outre une gamme d’objets purement décoratifs, Spaces met à votre disposition plusieurs outils, comme un miroir, une perche à selfie ou un crayon. Attrapez ce dernier, et vous pourrez dessiner en 3D tout ce qui vous passera par la tête, comme, dans le meilleur des cas, un chapeau avec lequel vous coiffer ou une épée que vous pouvez attraper et brandir. Ou inversement.

Le résultat, c’est un florilège d’activités délicieusement absurdes : partage de photos de vacances au milieu d’une scène de chaos dans Star Wars, tentative vaine de jeter un gribouilli en forme de poisson dans un océan en 360 degrés, transformation d’une photo de David Hasselhoff en couvre-chef, composent une scène improbable que les participants peuvent immortaliser à coup de perche à selfie avant de partager l’œuvre sur leur mur Facebook.

La table qui sert de bac à sable ne tarde pas à être envahie de photos, d’objets incongrus et de dessins plus ou moins réussis, selon le talent de l’utilisateur (plutôt moins, donc). Il faut d’ailleurs ranger au fur et à mesure pour y voir clair (« c’est relou, on est obligés de ranger comme dans la vraie vie ! »), même si une option pour tout effacer d’un coup existe.

De retour dans la réalité, le sentiment vaguement honteux qu’on a en redécouvrant ces photos irréelles agrémentées de likes moqueurs n’est d’ailleurs pas sans rapport avec celui que l’on ressent, au lendemain d’une soirée arrosée, en découvrant les peu flatteuses photos de la veille. « Ce qui se passe dans Spaces devrait rester dans Spaces », a ainsi commenté un ami de notre cobaye, qui n’a pas nécessairement tort.

Le monde virtuel de Facebook Spaces est bien vite encombré, au fil des photos échangées et objets dessinés. | Facebook Spaces / Capture d'écran

« Extraordinaire et nul à la fois »

Le même cobaye résume assez bien le fond de notre pensée : « C’est le premier truc que je vois qui soit aussi extraordinaire et nul à la fois ! » Les applications restent en effet assez limitées : même si l’expérience promet quelques bons éclats de rire, on en fait vite le tour. Comme si Facebook craignait qu’en proposant sur Spaces autant de possibilités d’échanges et de personnalisations que sur son réseau social, les choses ne risquent de déraper.

Il est par exemple impossible d’inviter des inconnus, de recevoir des notifications, de lancer des lives ou de commenter des photos. Outre passer en revue les photos, envoyer des selfies sur son mur Facebook ou utiliser quelques gadgets, les participants doivent se contenter pour seule interaction de pouvoir recevoir des appels vidéo, via Messenger, d’amis restés dans le « vrai » monde. Sauf que le « téléphone virtuel » sur lequel ils s’affichent ne reste visible qu’au récipiendaire de l’appel : impossible de montrer la vidéo ou même de faire écouter la conversation aux autres participants présents, créant ainsi une curieuse dissonance.

Même si, on le sait, Spaces est encore au stade de prototype, cela donne aussi l’impression que Facebook a voulu bâtir, pour le moment, l’environnement le plus « safe » possible, quitte à enrichir progressivement l’expérience.

En attendant, et faute d’interaction sociale très poussée, Facebook Spaces tient donc davantage de l’expérience ludique, amusante mais reste anecdotique. On lance l’application une fois ou deux pour s’amuser, mais elle n’entraînera pas une révolution des interactions sociales en ligne. Celle-ci n’arrivera d’ailleurs sans doute pas tant qu’il sera aussi difficile de trouver des amis équipés de l’onéreux et encombrant casque.

En bref

On a aimé :

  • L’impression d’être physiquement en présence de son ami

  • Se dessiner sa propre épée

  • Expérimenter la vacuité de l’existence en prenant un selfie dans un monde virtuel

  • Pouvoir envoyer des photos dans Facebook

On n’a pas aimé :

  • Les possibilités limitées – mais ce n’est qu’une version bêta

  • Quelques bugs – mais ce n’est qu’une version bêta

  • Les publicités, même avec des Stormtroopers – et ce sera encore pire quand ce ne sera plus en bêta

  • N’avoir qu’un seul ami

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous possédez un Oculus Rift

  • Vous avez des amis qui possèdent un Oculus Rift

  • Vous ne l’avez pas (encore) rangé au placard

  • Skype est cassé

Ce n’est pas pour vous si…

  • Vous gagnez moins que Mark Zuckerberg et n’avez donc pas d’Oculus Rift

  • Vous n’êtes pas du genre à publier des photos de vous ivre sur Facebook

  • Vous aimez l’infinité de possibilités plus ou moins convenables d’un Second Life

  • Vous détestez les soirées diapositives

  • Vous étiez né à l’époque des soirées diapositives

La note de Pixels :

360 degrés sur 590 euros