Des élèves palestiniens à Al-Bireh, près de Ramallah, en Cisjordanie, en mars. | ABBAS MOMANI / AFP

Les manuels scolaires sont un terrain classique du conflit israélo-palestinien. Chaque camp accuse l’autre de propagande nationaliste, de racisme et de déformation historiographique. Mais cette fois, la polémique a pris une telle tournure qu’elle a placé l’UNRWA en difficulté. Fondé en 1949, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient est accusé par certains responsables à Ramallah de tentative de censure. Le 17 avril, soucieux d’atténuer ces tensions, le commissaire général de l’UNRWA, Pierre Krähenbühl, a rencontré le premier ministre Rami Hamdallah. Trois jours plus tôt, le ministre palestinien de l’éducation avait annoncé la suspension de toute coopération avec l’Office, une annonce non confirmée par le seul véritable décideur, le président Mahmoud Abbas.

Le courroux palestinien a pour origine la révélation dans la presse de l’existence de consignes données par l’UNRWA à ses enseignants, chargés de 50 000 élèves dans 96 établissements en Cisjordanie, ainsi que de 240 000 jeunes dans la seule bande de Gaza. Ces consignes, perçues comme une atteinte à la souveraineté nationale, figurent dans un document du département de l’éducation de l’Office, que Le Monde a pu consulter. Destiné aux élèves des premières classes, il est intitulé « Problèmes et scénarios alternatifs ». Son objectif : signaler aux enseignants les passages controversés dans les manuels (sciences, éducation islamique, études sociales, mathématiques et arabe), puis proposer une expression de substitution.

Glorification des « martyrs »

Dans ses écoles en Jordanie et au Liban, l’UNRWA utilise depuis le milieu des années 1950 les manuels publiés par ces pays, afin de préparer les élèves aux examens nationaux. A partir de la fin des années 1990, la mission a fait de même dans les territoires palestiniens occupés. Mais son département de l’éducation continue d’analyser avec attention les nouvelles publications, guettant les exercices ou les commentaires considérés comme inappropriés : non seulement par rapport au conflit israélo-palestinien, mais aussi sur le plan de la parité, de la mixité et de la non-violence. L’UNRWA n’a pas de mandat pour procéder d’autorité à des changements dans les programmes. En revanche, elle peut transmettre des consignes aux enseignants déployés dans ses centaines d’établissements. « C’est la politique de l’UNRWA de s’assurer que les manuels correspondent aux valeurs des Nations unies », se contente de souligner son porte-parole, Christopher Gunness.

Début avril, un rapport d’un organisme privé israélien, l’Institute for Monitoring Peace and Cultural Tolerance in School Education (IMPACT-SE), avait dénoncé une « détérioration alarmante » dans le contenu des manuels, en soulignant la glorification des « martyrs » palestiniens, victimes de l’occupation. En une quarantaine de pages, le document de l’UNRWA permet de saisir ce qui pose problème aux yeux de ses spécialistes, soit 3 % des contenus, selon une source interne. Toute référence explicite au conflit, aux colonies, aux soldats israéliens, aux violences qu’ils exercent sur les Palestiniens, est écartée. Ce souci va même jusqu’à rejeter une allusion au mur de séparation. Un ­passage faisant référence aux ­ambulances palestiniennes, confrontées à des risques et des ­obstacles en raison de l’occupation, est aussi refusé. A la place d’une photo montrant un char et une barrière bloquant des ambulances, ­l’UNRWA propose de discuter avec les élèves de la question suivante : « L’aide humanitaire doit-elle être entravée ? »

« Problème de neutralité »

De la même façon, l’Office relève le « problème de neutralité » causé par l’image d’une maison détruite par les Israéliens. Les cartes géographiques posent aussi un souci, dès lors qu’elles mentionnent par exemple la « Palestine historique », sans les noms des villes israéliennes, ou bien évoquent Jérusalem comme capitale palestinienne, alors que le statut de la cité ne doit être déterminé, selon l’ONU, qu’au terme des négociations de paix.

Dans son bureau à Ramallah, Tharwat Zeid fait face à tous les manuels, dont les plus récents, ceux qui sont débattus, ont été mis en circulation en septembre 2016. Le responsable des ­programmes scolaires, sous l’autorité du ministre de l’éducation, réfute toute incitation à la violence dans les textes et revendique un enseignement national, qui tient compte de « l’environnement quotidien palestinien ». Il rejette donc les critiques adressées par l’UNRWA. « Ces recommandations représentent les intérêts israéliens et cherchent à satisfaire le donateur américain », dit-il. Les Etats-Unis sont le premier contributeur de l’UNRWA, à hauteur de 368 milliards de dollars (344 milliards d’euros), soit le tiers de son budget. « Quand le mot “occupation” est mentionné, l’Office change de sujet, note Tharwat Zeid. L’UNRWA prétend être neutre, mais les enseignants n’ont pas accepté cette prétendue neutralité. »