Rex W. Tillerson (alors PDG d’ExxonMobil) récompensé par le président russe Vladimir Poutine le 13 décembre 2016, à Saint-Pétersbourg. | MICHAEL KLIMENTYEV / AFP

« Sont-ils fous ? » La question avait été lancée sur Twitter, mercredi 19 avril, par le sénateur républicain de l’Arizona, John McCain, fer de lance des élus anti-Poutine aux Etats-Unis. « Ils », ce sont les dirigeants du géant pétrolier ExxonMobil. Ils chercheraient à obtenir du département du Trésor une levée des sanctions leur interdisant de mener à bien les projets prévus avec leur partenaire russe Rosneft, notamment un premier forage d’exploration en mer Noire dès 2017, selon une information publiée le jour même par le Wall Street Journal. Ces pressions ne pouvaient qu’embarrasser Rex W. Tillerson – ancien PDG d’ExxonMobil (2006-2016) et chef de la diplomatie américaine depuis janvier –, alors que les relations russo-américaines restent très tendues sur la Syrie comme sur l’intervention présumée des services secrets russes dans la campagne présidentielle américaine.

Vendredi, l’administration Trump a adressé une fin de non-recevoir aux demandes d’Exxon. « Après une discussion avec le président Donald J. Trump, le département du Trésor n’accordera aucune dispense aux entreprises américaines, y compris Exxon, pour autoriser des forages interdits par les actuelles sanctions russes », a fait savoir le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, dans un communiqué. « Nous comprenons la décision », a réagi le géant pétrolier texan.

En 2011, M. Tillerson avait signé avec Igor Setchine, patron de Rosneft, un « partenariat stratégique » ouvrant à ExxonMobil les gisements de Sibérie, de l’Arctique et de la mer Noire pour des contrats estimés par Moscou à 500 milliards de dollars (467,4 milliards d’euros). Des travaux avaient commencé, notamment en mer de Kara, pour exploiter ses gisements d’or noir. Mais les sanctions internationales décrétées après l’annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014 et son intervention dans l’est de l’Ukraine l’ont obligé à tout suspendre. D’autant que M. Setchine, proche du président russe Vladimir Poutine, est inscrit par Washington sur la liste noire des personnalités russes interdites de séjour aux Etats-Unis.

Le lobbying a commencé fin 2015

Lors de son audition d’investiture devant le Sénat, en janvier, M. Tillerson avait affirmé qu’il n’avait jamais fait pression pour une levée des sanctions. « A ma connaissance, ajoutait-il, Exxon n’a jamais fait de lobbying direct contre les sanctions. » Et pourtant, ce lobbying avait commencé fin 2015 auprès de l’administration Obama. Le PDG de la major américaine avait rencontré une dizaine de fois des proches conseillers de Barack Obama, arguant que ces sanctions faisaient perdre beaucoup d’argent à son entreprise et la pénalisaient face à ses concurrentes du Vieux Continent.

L’Union européenne est en effet moins sévère que les Etats-Unis vis-à-vis de la Russie, sans doute parce que ses échanges commerciaux sont dix fois plus importants. Ainsi Total a-t-il pu poursuivre avec son partenaire russe Novatek le projet de gaz naturel liquéfié de Yamal LNG (Grand Nord), mais en le finançant sans recourir au dollar.

Depuis qu’il est à la tête de la diplomatie américaine, M. Tillerson s’est tenu à une ligne assez dure à l’encontre de Moscou, comme pour prouver qu’il ne peut être accusé de défendre encore les intérêts de son ancienne entreprise. Le ton général du premier entretien qu’il a eu avec M. Poutine depuis qu’il est secrétaire d’Etat, le 12 avril, a été qualifié de « relativement constructif » par le Kremlin. Une rencontre décidée au dernier moment et dont l’ambiance était moins chaleureuse qu’en juin 2013, lors de la remise de l’ordre de l’Amitié russe par M. Poutine au « boss » d’ExxonMobil !

ExxonMobil a pris vis-à-vis de Rosneft des engagements qui l’obligent à forer d’ici à 2017 en mer Noire pour obtenir ensuite un droit d’exploitation.

Pourquoi le géant américain essaie-t-il de forcer la main au gouvernement ? Il n’y a pas urgence. A 50 dollars le baril, les experts jugent qu’il n’est pas rentable de pomper du pétrole en mer Noire, a fortiori dans les mers de l’Arctique russe (Kara, Laptev, Barents…). Les grandes compagnies ont suspendu ou annulé les nouveaux projets d’exploitation d’hydrocarbures en mer profonde, trop gourmands en capitaux.

Mais ExxonMobil a pris vis-à-vis de Rosneft des engagements qui l’obligent à forer d’ici à 2017 en mer Noire pour obtenir ensuite un droit d’exploitation. Faute de quoi sa licence pourrait lui être retirée et attribuée à une autre major pétrolière. L’italien Eni, en l’occurrence, avec laquelle Rosneft a des projets en mer de Barents et en mer Noire. De plus, les compagnies russes ont amélioré leurs compétences techniques sur les gisements difficiles durant ces trois ans d’embargos sur les technologies, même s’ils accusent encore du retard sur leurs concurrents occidentaux.