A la mi-journée dimanche, la participation était de 28,54 % pour le premier tour de la présidentielle, relativement stable par rapport à 2012. Mais, à la différence d’il y a cinq ans, une large partie des électeurs hésitait encore au moment d’entrer dans l’isoloir. A la sortie des bureaux, nos journalistes, mobilisés sur toute la France, étaient là pour en interroger certains sur leur choix : comment et quand ont-ils finalement tranché ? le vote de conviction l’a-t-il emporté sur le vote dit « utile » ?

A Marseille, Denis Di Mondo a, lui, décidé de voter « selon ses convictions ». « J’en ai marre de voter utile », assure ce restaurateur de 50 ans, issu, dit-il d’une « famille de résistants ». Il veut voir « Mélenchon et la gauche progressiste exister ». Paul, un sexagénaire qui travaille dans l’audiovisuel, patiente dans la queue et avoue qu’il hésite encore entre « Mélenchon et Macron ». A sa sortie, il a tranché mais ne veut pas dire pour qui. « J’ai toujours le doute », souffle-t-il.

« Il faut bien montrer que des gens croyaient en son programme »

Midi, c’est l’heure de pointe au bureau 111 de Wazemmes, à Lille. Comptez vingt minutes d’attente pour atteindre l’isoloir. Le temps pour Laetitia d’hésiter encore un peu. L’infirmière lilloise de 30 ans est toujours aussi indécise à quelques mètres des deux bulletins qui la font douter. Mélenchon ou Macron, « je me pose la question du vote utile. Du quel éviterait que Le Pen soit au second tour ».

Son ami, Guillaume refuse de se faire « voler » son vote. Ce sera Hamon, pour le cœur et la raison : « Et même s’il ne passe pas, il faut bien montrer que des gens croyaient en son programme. » Lui n’a pas voté il y a cinq ans. « Mais avec l’âge, ma conscience citoyenne s’est réveillée », sourit le jeune traducteur de 29 ans.

« Le personnage Fillon, je ne l’aime pas. » Aude Masse vient pourtant de voter pour lui. « Ni Mélenchon, ni Le Pen, ni Poutou, ni la prof d’éco… » C’est qu’en éliminant tous ceux dont elle ne voulait pas voir à la tête de l’Etat, la Lilloise de 43 ans « plutôt droite sociale » s’est retrouvée avec un dernier bulletin en main. « Ça me gêne qu’il prône la moralité et se contredise. Mais c’est le programme le plus cohérent, pour moi. » Alors, elle a laissé sa petite fille de 3 ans glisser le bulletin du candidat Les Républicains.

« Les affaires ne changent rien pour moi, c’est ma famille politique »

A Rennes, Annick, 67 ans, annonce en souriant : « Je fais partie des retraités nantis qui votent Fillon ! » Elle plébiscite sans états d’âme le candidat du parti Les Républicains : « Les affaires ne changent rien pour moi, c’est ma famille politique. » Didier Tenaille, 59 ans, directeur commercial, tient un discours semblable : son choix en faveur de M. Fillon a été renforcé « depuis que les médias se sont acharnés contre lui ».

Amir Mhoudini, 32 ans, fonctionnaire, vient d’une famille nordiste « très socialiste ». Il ne souhaite pas dire pour qui il a voté. Il avoue qu’il a été « déçu » par le quinquennat de François Hollande, mais précise dans un sourire : « Je pense qu’il faut avoir confiance en Benoît Hamon. S’il a quitté le gouvernement, c’est qu’il a vu que quelque chose n’allait pas. »

Plusieurs électeurs bretons ayant choisi Emmanuel Macron nous ont confié, quant à eux, avoir fait un choix « par défaut ». C’est le cas de Sarah Destours, 28 ans, et de Saint-Ciel Makanda, 31 ans, respectivement assistante commerciale et conseiller sportif. « On est de gauche depuis longtemps, expliquent-ils alors qu’ils patientent dans la longue file d’attente qui serpente jusqu’aux bureaux de vote. On voulait voter pour Mélenchon, mais on a privilégié le vote utile, notamment contre Le Pen. Macron nous semble le moins pire. »

« Si le vote blanc avait été comptabilisé, j’aurais voté blanc »

Pour Alexis, 44 ans, un retour au franc n’est pas souhaitable. Avant de venir voter à Strasbourg, ce VRP bilingue qui traverse régulièrement la frontière hésitait entre deux candidats qui ne comptent pas remettre en cause l’appartenance de la France à l’UE : Macron et Fillon. Il a fini par faire un choix en faveur du second : « Il annonçait plus la couleur. » Mais « aucun » n’a réellement emporté son adhésion. « Si le vote blanc avait été comptabilisé, j’aurais voté blanc. » Sa femme Gabrielle hésitait aussi entre le candidat d’En marche ! et celui de LR. « Moi, j’ai parié sur la jeunesse ! »

De son propre aveu, le biochimiste à la retraite et son épouse ont failli voter cette année… en faveur de l’extrême droite et du Front national. Pour que « ça bouleverse » la vie politique, expliquent ces électeurs à Melle, dans les Deux-Sèvres. « Si on ne votait pas Macron, on votait Le Pen. Mais Macron, c’est quand même plus correct, plus clair, plus propre. Il est jeune, je pense qu’il faut renouveler tout ce monde politique. Je pense qu’un gars comme ça, il représentera mieux la France, en France et à l’étranger. »

Flore Deron, elle, est sceptique. « J’ai trouvé ça très compliqué de choisir. On en a beaucoup parlé avec mon mari jusqu’à hier soir tard. Ça fait deux semaines qu’il me gonfle à me dire : “Bon alors, faut qu’on se décide.” Bilan, je crois qu’on ne votera pas la même chose, alors que d’habitude, oui. Je vais voter Mélenchon, et mon mari, je pense, votera Hamon. » « Je ne suis pas d’accord avec toutes les idées de Mélenchon, son programme n’est pas complètement lucide, réaliste et tenable. Son côté très à gauche m’inquiète un peu. Ils auraient pu s’entendre, avec Hamon, je ne comprends pas ce qu’ils ont fait. C’est l’ego qui passe avant les idées. »

« Je me suis décidée il y a vingt minutes ! »

A Besançon, Sandrine Larnaud, 43 ans et le « cœur plutôt à gauche » a, elle aussi, eu un mal fou à se déterminer. « J’ai le sentiment d’avoir été prise en otage, raconte-t-elle. Par les sondages, par les candidats eux-mêmes avec leur marketing et leurs chantages, par la nullité de cette campagne. » Sandrine ne s’en cache pas, elle a changé d’avis à plusieurs reprises. A 800 km de là, Fanny est dans le même cas. « Je vais vous dire, je me suis décidée il y a vingt minutes ! J’hésitais encore tout à l’heure », dit-elle en tirant sur sa cigarette roulée à la sortie de son bureau de vote, à l’école Matabiau de Toulouse. Dans l’isoloir, la cuisinière de 44 ans a finalement opté pour Macron, « un peu au feeling ».

Thaïs Hautbergue, 26 ans, est elle aussi venue donner sa voix à Mélenchon, pour la deuxième fois après 2012, et « avec conviction ». Le seul qui donnait l’impression à cette jeune thésarde en chimie, finaliste de « Ma thèse en 180 secondes », « de ne pas vouloir ce poste de président à des fins personnelles, mais pour changer en profondeur le système politique et gouvernemental et c’est ce qui le démarque ». La jeune femme a un peu hésité lorsqu’elle a entendu les propositions de Benoît Hamon, au tout début. « Pas longtemps. » Les déchirements au sein du Parti socialiste, et « le non-respect par certains du choix des Français » l’ont fait revenir à Mélenchon. Elle a arrêté son choix il y a deux mois.

« Faire barrage à l’extrémisme »

Laurent, 44 ans, opérateur de sûreté à l’aéroport de Toulouse-Blagnac depuis dix-sept ans, est venu donner sa voix à Mélenchon. « Un peu par défaut », car il le trouve parfois « un peu populiste ». Son « smic à 1 800 euros », Laurent ne le croit pas applicable. Et son comportement avec certains journalistes, « c’est parfois limite ». Son choix, Laurent l’a vraiment arrêté hier soir, après avoir hésité avec les petits candidats, Arthaud et Poutou. Finalement, il s’est dit « qu’il valait mieux voter utile ». Car le plus important pour ce célibataire sans enfant, c’est « de contrer le populisme de droite : Fillon, Le Pen, Dupont-Aignan ».

Au cœur du quartier populaire des Minguettes, dans la banlieue sud de Lyon, les votants se succèdent à rythme constant au bureau de vote de l’école Saint-Exupéry. Dans cette cité gangrenée par le chômage (4 jeunes de moins de 25 ans sur 10 sont sans emploi) qui avait massivement voté Hollande en 2012, le PS ne semble plus faire recette. « Hamon est quelqu’un de bien et de sincère, c’est certain, mais ce n’est pas avec un parti en état de délabrement qu’on pourra reconstruire le pays », estime Karim L., 47 ans, chef de projet. Soucieux de faire barrage à l’extrémisme, dont la victoire, est-il convaincu, « ferait exploser les banlieues », il a donné sa voix à Emmanuel Macron.