Il est souvent reproché à Coachella, le festival californien préféré des stars et d’Instagram, d’être surtout un terrain de jeu pour qui veut se montrer : chaque année, la manifestation attire comme un pot de miel les étoiles montantes de la pop et des grappes de jeunes gens plutôt aisés venus faire des selfies en masse pour prouver leur présence à « Chella ». La musique y serait devenue secondaire. Mais c’est oublier que la grand-messe programmée en avril dans la ville d’Indio, dans la vallée désertique de Coachella, abrite chaque année une programmation dantesque. Et qui ne se limite pas à une récente vague de mauvaise Electronic Dance Music (EDM).

A Coachella, Les Français se sont fait, au fil des ans, une jolie réputation d’incontournables entertainers, figurant en bonne place dans la liste des invités. Ainsi des Daft Punk, dont le nom bruissait partout. Il faut dire que l’Arlésienne des deux robots était à son pic cette année, en raison de multiples signes. Entre autres, la visite à Coachella des chanteurs R & B The Weeknd et Pharell Williams, dernières collaborations en date du duo. Plus une année en « 7 » qui marque dix ans sans tournée (Alive 1997 et 2007 étant les pierres angulaires live des deux musiciens parisiens). C’est enfin à Coachella, en 2013, qu’avait été lancé le single Get Lucky, avant la sortie de l’album Random Access Memories.

Bref, Guy-Manuel de Homem-Christo et Thomas Bangalter étaient attendus, d’autant plus que Coaachella aime à multiplier les invités-surprise – cette année, 50 Cent, Travis Scott, Drake, Migos, Wiz Khalifa, Lauryn Hill, A$AP Ferg, Skrillex, Tyler, the Creator, pour ne citer qu’eux, ont fait ainsi des apparitions. La rumeur (finalement déçue) promettait que les DJ casqués rejoindraient Lady Gaga, remplaçante de Beyoncé.

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La formule à faire bondir

Mais les artistes de la « French touch 3.0 » n’ont pas attendu les Daft pour briller. Malin, Kungs, le producteur toulonnais de vingt ans, a bien intégré son héritage. Révélé en 2016 par le single This Girl, il a joué Aerodynamic en conclusion d’une prestation EDM à mi-chemin entre l’outrance de David Guetta – à qui il est souvent comparé, et qu’il a remixé – et des morceaux plus travaillés et imprévisibles de l’école française, le tout sur une scène splendide dédiée aux effets de lumière. Il a également convoqué le souvenir du francophone Stromae, passé par Coachella en 2015.

Sous la même tente – appelée Sahara, les arènes portant des noms de désert –, le mix poisseux du Rémois Brodinski, sans doute le plus Américain des Frenchies présents, a fait des merveilles. Ses appétences hip-hop ont ravi les locaux fans de beats plus lents et habitués aux sonorités suaves des rappeurs d’Atlanta.

Enfin, DJ Snake a très bien intégré les codes de la nouvelle génération adepte de bangers, ces morceaux grand huit aux montées constantes, où le climax consiste à envoyer la sauce pendant quelques secondes, pour passer aussitôt au suivant. A la manière des installations gigantesques des DJ mexicains, le spectacle, grandiloquent, était aussi visuel que sonore. Passant plus de temps à haranguer la foule, perché sur sa table, que les mains sur les platines, Snake a casé des lumières bleu blanc rouge, un t-shirt « Pardon my French » et une dédicace à Paris dans un anglais impeccable. Plaisir coupable et éphémère, ce fut également le mouvement de foule le plus furieux du week-end.

Le label Ed Banger toujours présent

Pendant que le nantais Madeon se produisait sur la scène extérieure avec davantage de subtilité pop que ses prédécesseurs, le public attendait les autres héros de la French touch, Justice, l’indéboulonnable paire qui compte trois éditions au compteur. Leurs concerts sont toujours puissants et maîtrisés, machines à danser carénées de métal et taillées pour les stades. Plaisir intact et bel écrin pour un troisième album, Woman, qui se prête aux remixes sauvageons. Rock et sombre, leur live traite les tables de mixage comme de vilaines guitares à dompter.

Mais la plus belle surprise de ce festival fut sans doute le concert sans prétention de Breakbot. Accompagnés d’un groupe charismatique, dont un incroyable bassiste, les deux musiciens n’ont pas eu peur de remettre la désuète boule à facettes au goût du jour. Leur nu-disco, regardé au début avec circonspection par le public, a réussi le pari de retenir la fuite des jambes vers Lady Gaga.

Seul accroc à ces envolées chauvines : pas un seul artiste français présent ne chantait dans notre langue, entre les DJs jouant sans paroles et les morceaux écrits en anglais. PNL, les deux rappeurs des Tarterêts, auraient pu conjurer ce sort. Malheureusement, retenu en France pour des problèmes de visa, l’un des frères (Ademo) n’a pas pu honorer la promesse de concert. Après quelques jours de négociations, le concert a été annulé. L’histoire aurait été facile à monter en épingle si elle était liée à l’Amérique de Trump. En réalité, c’est depuis les attentats du 11 septembre 2001 que les règles d’obtention des visas O et P, réservée aux artistes, s’est durcie, touchant des musiciens du monde entier.

Outre les Français, les formations australiennes,peut-être habituées à une telle fournaise (40 degrés à l’ombre le dimanche), ont livré les meilleures prestations.

The Avalanches, collectif originaire de Melbourne, de retour sur disque et sur scène en 2016 après une absence de quinze ans, ont chauffé à blanc la portion la plus âgée du public californien (les quelques trentenaires), à coups de samples fous, de raps et de cowbells vengeresses. Quant à Jagwar Ma, leur son, venu de Sidney mais enregistré en France (cocorico à nouveau), a la bonne idée de regarder le futur du rock dans les yeux, sans y ajouter des poses de faux rebelles.

Le roi Kendrick Lamar

Pendant qu’on s’extasiait sur tous ces « petits » groupes, casqués ou non, chapeautés ou non, guitares ou sampleurs à la main, les trois têtes d’affiche officielles, elles, faisaient le job. Samedi 22 avril, Lady Gaga, mieux inspirée qu’en première semaine, raflait la mise en termes de densité de population, avec un show cependant moins carré qu’au Super Bowl. La veille, Radiohead avait rectifié les handicapants problèmes techniques du week-end précédent.

Puis, le dimanche au soir, il ne restait plus à la superstar locale, Kendrick Lamar, éclatant, qu’à venir réclamer sa couronne, fort d’un superbe troisième album – DAMN. – déjà un classique après une semaine d’existence. Roi incontesté du week-end, du rap, de la Californie et des ventes d’album, il est désormais seul sur son trône.

Félicien Cassan