C’est la règle du second tour de l’élection présidentielle : pour l’emporter, chacun des deux finalistes doit bâtir un rassemblement beaucoup plus large que son socle initial. Donc attirer sur son nom le plus grand nombre possible d’électeurs des candidats battus au premier tour. Depuis des décennies, ce rassemblement obéissait à la logique des deux camps – gauche et droite – qui dominaient le paysage politique. L’élimination des candidats du Parti socialiste et du parti Les Républicains, et la qualification de ceux du Front national et d’En marche ! rendent ce mécanisme de report des voix inédit et beaucoup plus imprévisible.

La dernière vague de l’enquête électorale du Cevipof, réalisée en partenariat avec Le Monde par Ipsos Sopra-Steria les 16 et 17 avril, fournit sur ce point des indications d’autant plus précieuses qu’elle anticipait un résultat de premier tour très proche de la réalité constatée au soir du 23 avril. Dans l’hypothèse d’un duel de second tour entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, ce dernier était crédité d’une large victoire le 7 mai, avec 61 % des suffrages contre 39 % à la candidate du FN.

Ce succès présumé résulterait de reports de voix très différents selon les électorats de premier tour. En effet, nettement moins de la moitié des électeurs de François Fillon (42 %) déclaraient il y a une semaine que, dans cette hypothèse, ils voteraient pour Emmanuel Macron au second tour, contre 31 % qui se reportaient sur Marine Le Pen et 27 % qui n’exprimaient pas leur choix. De leur côté, la moitié seulement des électeurs de Jean-Luc Mélenchon (51 %) se disaient décidés à voter pour M. Macron au second tour, contre 12 % pour Mme Le Pen, mais l’embarras était manifeste pour 37 % d’entre eux qui n’exprimaient pas leur choix.

L’attitude des électeurs de Benoît Hamon était beaucoup plus tranchée : en cas de duel Macron-Le Pen, 72 % d’entre eux étaient déterminés à reporter leur voix sur le candidat d’En marche !, contre 4 % sur la candidate du Front national, tandis que 24 % restaient dans l’expectative. A l’inverse, près de la moitié (46 %) des électeurs de Nicolas Dupont-Aignan se disaient décidés à voter en faveur de Mme Le Pen au second tour, contre 34 % en faveur de M. Macron, 20 % n’exprimant pas leur choix.

Selon une nouvelle enquête, réalisée par Ipsos, dans la soirée du 23 avril, auprès d’un échantillon de 2 024 personnes, dont 1 379 certaines d’aller voter le 7 mai, pour Radio France, France Télévisions, LCP-Public Sénat, RFI, France 24, Le Point et Le Monde, ces reports de voix ont évolué en faveur de M. Macron. Ce dernier recueillerait les suffrages de 48 % des électeurs de François Fillon (contre 33 % pour Mme Le Pen et 19 % qui n’expriment pas leur choix), 62 % des électeurs de Jean-Luc Mélenchon (contre 9 % se reportant sur Mme Le Pen et 29 % ne choisissant pas) et 79 % des électeurs de Benoît Hamon (contre 4 % pour Mme Le pen et 17 % de non-choix).

Reste à savoir si ces intentions de report de voix se vérifieront dans la réalité. C’est tout l’enjeu des deux semaines de l’entre-deux-tours, des recommandations exprimées ou non par les candidats battus et de la dynamique de rassemblement que les deux finalistes sauront ou non enclencher.