Comment réagissent les groupes d’amis lors de la mort inattendue d’un membre du cercle social ? Un décès multiplie-t-il ou freine-t-il les relations entre proches sur le long terme ? Pour tenter de le déterminer, un chercheur de la Northeastern University de Boston (Massachusetts) et une chercheuse de Facebook se sont associés pour étudier, sur une période de plusieurs années, l’évolution des interactions entre les membres de groupes ayant connu un décès soudain.

Leurs conclusions, publiées lundi 24 avril dans la revue Nature Human Behaviour, décrivent de manière précise comment les relations sociales se réorganisent après une mort. En étudiant 15 000 cercles d’« amis Facebook », ils montrent de manière convaincante qu’un décès resserre, dans la plupart des cas, des liens qui existaient déjà. « En moyenne, le volume d’interactions perdues après un décès a été entièrement récupéré par la suite. Le deuil se fait à travers une redécouverte connectée, et les amis sont plus étroitement liés après la perte d’un ami commun », écrivent les chercheurs. En clair, après le « vide » laissé par la perte de quelqu’un, ses amis proches tendraient à compenser ce décès en multipliant les discussions avec des personnes qui connaissaient aussi le défunt.

Ils échangent davantage après un décès, y compris longtemps après l’événement : deux ans après la mort d’un membre du groupe, les amis proches sont 2,6 % plus actifs dans leurs discussions qu’avant. Pour de simples connaissances, les effets sont encore plus marqués : neuf mois après le décès, les échanges ont augmenté de 4,5 % entre personnes peu proches. Des chiffres en hausse lorsque le décès est accidentel.

Ces résultats sont presque constants quel que soit l’âge des groupes observés, écrivent les chercheurs, avec une exception pour les plus jeunes adultes. « Chez les individus âgés de 25 ans ou plus, l’augmentation du nombre d’interactions a totalement ou presque totalement compensé la perte d’interactions avec la personne décédée », expliquent-ils, et ils notent aussi que, « pour les réseaux dans lesquels le sujet était âgé de moins de 25 ans, le nombre d’interactions de ses amis a même augmenté ».

Cas différent pour les suicides

En revanche, il existe des cas de figure dans lesquels les interactions diminuent : lorsque la cause de la mort est liée à un stigmate social. L’étude note que lorsqu’il s’agit d’un suicide, ou dans une moindre mesure lorsque le décès est lié à des pratiques considérées comme socialement « honteuses » (MST, drogues, alcoolisme), les liens sociaux ne se réorganisent pas aussi fortement que pour les accidents.

Cette étude permet-elle de mieux comprendre comment le deuil s’effectue en dehors des écrans ? Les auteurs l’affirment, se basant notamment sur les chiffres des interactions Facebook qui peuvent être liées à des rencontres physiques – comme le fait de « taguer » une personne dans une photographie.

Plusieurs éléments peuvent cependant limiter la portée de cette étude, l’une des plus vastes jamais réalisées sur la manière dont les cercles sociaux gèrent le deuil. D’abord, comme toutes les études menées par Facebook, même en partenariat avec des chercheurs extérieurs, les données brutes ne sont pas publiques, ce qui empêche de reproduire leurs analyses. Mais aussi parce que, comme le notent les auteurs, le test a porté sur des utilisateurs californiens de Facebook – des résultats différents pourraient être obtenus avec un échantillon de personnes vivant dans d’autres pays ou cultures.