Des membres de La SAPE ("Societe des Ambianceurs et des Personnes Elegantes") posent à Abidjan le 24 avril pour l’hommage au chanteur de rumba congolaise Papa Wemba mort ici il y a un an. | SIA KAMBOU / AFP

Quand enfin le cortège officiel s’immobilise sur le banco retourné, on voit surgir d’une limousine noire la canne de bois sculpté et le panama à carreaux du ministre de la culture congolais. « Je ne suis pas sapeur comme tel, mais je me dois de refléter l’image de mon pays », explique Sylvain Maurice Masheke, à côté de son homologue ivoirien. Face à la tribune des mondanités, dans ce quartier d’Abidjan où débute ce lundi 24 avril la dixième édition du festival de musique FEMUA, on a tapissé un mur de l’immense photographie de Papa Wemba : bras en croix, poings fermés, dans une tenue de couturier italien avec broderies et cœur noir. Il y a une année exactement, le chanteur de Kinshasa mourait sur cette scène, dans ce festival, après vingt minutes de concert seulement. « Il était une icône, il ne s’appartenait déjà plus », murmure le ministre de la RDC, venu inaugurer la nouvelle place Papa Wemba.

Pour comprendre qui était Papa Wemba et donc quel séisme a déclenché sa mort le 24 avril 2016 des suites d’un malaise, il faut voir la cohorte des sapeurs, des pochettes Pierre Cardin, des chemises Dolce Gabbana, des pantalons Yohji Yamamoto et surtout des chaussures en croco qui ont fait le déplacement pour cet hommage national et africain. Selon ce jeune élégant ivoirien (en costume trois couleurs), « Papa Wemba était un dieu, il savait s’habiller mais aussi très bien chanter ». Jules Shugbu Wembadio Pene Kikumba, dit Papa Wemba, né en 1949 dans le Congo belge, n’était pas seulement le « Rossignol », une voix d’une pureté mutine, il était aussi un faiseur de mode, la coupe impeccable, le sens des matières et des teintes conjuguées. Il était l’indétrônable roi de la sape.

La sape ivoirienne : un art de vivre en couleurs
Durée : 05:12

Derrière le pupitre des discours, accablé de chagrin, A’salfo se souvient de cette mort à la Molière, de ce corps tombé en pleine rumba, en direct à la télévision. Le créateur du FEMUA et leader du groupe Magic System avait dû gérer cette crise énorme : « Franchement, personne n’aurait pu me préparer à cela. Le moment où le médecin m’a transmis la montre de Papa Wemba pour m’indiquer qu’il n’avait pas survécu à son malaise, les rumeurs d’empoisonnement qui ont suivi, l’annonce que j’ai dû faire au monde entier. Avec la distance, j’ai le sentiment que Wemba avait choisi de mourir ici ». Pendant la cérémonie de lundi, où la place Papa Wemba était inaugurée devant la scène du festival, les intervenants ont tous rappelé les liens culturels entre Kinshasa et Abidjan, les influences réciproques mais aussi comment le coupé-décalé ivoirien est né des métamorphoses du style congolais.

Une femme dans le défilé des sapeurs venus à Abidjan participer à l’anniversaire de la mort de Papa Wemba | Arnaud Robert

Chanter l’amour

Dans ce festival panafricain où le Malien Salif Keita croisera le Ghanéen Bisa Kdei mais aussi des enfants d’Africains comme le chanteur français Black M, la figure de Papa Wemba relève de la référence commune, de l’indiscutable. Alors que certains en Europe ne connaissent de lui que ses démêlés avec la justice française, le trafic des visas et les quatre mois de prison purgés en 2003, l’essentiel de la rue africaine retient surtout l’étonnante prolixité d’un artiste qui avait survécu à mille héritiers et à plusieurs présidents. Selon Didier Bokelo Bile, auteur d’un nouvel essai sur le musicien (Papa Wemba, icône de la musique africaine, de génération en génération, éditions de L’Harmattan), « il aurait pu être une figure plus politique, il avait une audience énorme mais vous savez, même si le Congo est un territoire où tout bouge tout le temps, les gens veulent surtout qu’on leur chante l’amour. »

Lundi soir, depuis la tribune VIP élevée dans la cour d’une église, plusieurs ministres, dont le puissant ministre d’Etat ivoirien Hamed Bakayoko, assistent au retour de l’orchestre de Papa Wemba, Viva La Musica. « L’année dernière, j’avais signé un contrat pour un concert d’une heure trente minutes, plaisante le directeur du FEMUA, la mort de Papa est survenue après vingt minutes seulement, vous nous devez donc plus d’une heure de spectacle ! » Sur le boulevard de terre battue qui regarde la scène, où le concert est relayé par des écrans géants, les vendeuses, les passants, les buveurs et les danseurs, les adolescents énamourés, les transporteurs et les équarrisseurs, les enfants endormis sur des draps blancs, tout un peuple qui ne comprend pas la langue de Papa Wemba reprend mot pour mot ses refrains.

« Un nez plus gros, un petit ventre replet »

Sur la terrasse du maquis « La Cave du Boulevard », des amis commentent les mérites comparés des tenues et des voix. Lorsque Neymar entre en scène, ils se taisent. Il n’est pas le sosie de Wemba, il est son miroir. La propre fille de Papa Wemba, Ella, qui a fait le voyage de France, n’en revient pas : « Il ne lui faudrait qu’un nez plus gros et un petit ventre replet, ce serait mon père ». On rencontre Neymar le lendemain, à côté d’une piscine où il rafraîchit ses émotions : « J’avais peur de chanter hier soir, forcément. Mais j’étais porté par l’orchestre. »

de belles chaussures, dans le défilé des sapeurs venus à Abidjan participer à l’anniversaire de la mort de Papa Wemba | Arnaud Robert

Neymar a 28 ans, il a assorti ses lunettes Versace à ses tatanes de bain Versace ; dans l’orchestre Viva La Musica, il porte désormais le nom de Papa Wembo : « Je suis de la génération qui a grandi avec la voix de Wemba, mon père l’aimait beaucoup, je fais partie de la même ethnie donc je chante dans sa langue ». Selon les managers de Papa Wemba, l’orchestre va continuer sans son fondateur. Sort aujourd’hui un disque posthume, intitulé Forever de Génération en Génération, avec en couverture la même photographie aux poings fermés prise le soir où il est tombé.

Deux drames peuvent-ils enrayer la machine à tubes Magic System ?
Durée : 03:50

Sur la place Papa Wemba, parmi les couronnes de fleurs qui sèchent à l’air libre, les fans déambulent pour poser en selfies. Pendant trois jours dans le quartier très populaire d’Anoumabo, près de 100 000 personnes chaque soir fouleront cette terre, sans avoir à débourser un seul franc CFA. C’était un pari auquel personne ne croyait vraiment il y a 10 ans. Sauf A’salfo : « La musique doit rester cette chose fondamentalement populaire. Papa Wemba l’avait compris. Le fait qu’il soit mort face à ce public, ceux qui n’ont en général pas les moyens d’assister à des concerts, cela me console un peu. »