La nomination, début avril, de quatre ambassadeurs chevronnés du réseau diplomatique nigérian – trois pour l’Organisation des Nations unies à New York et à Genève, un à Addis-Abeba pour l’Union africaine (UA) – sera insuffisante pour rendre audible la voix du pays africain le plus peuplé avec ses 182 millions d’habitants dans les affaires du continent et du monde, aphone depuis deux ans.

Arrivé au pouvoir en mai 2015, le président nigérian Muhammadu Buhari a considérablement affaibli sa diplomatie, par absence de décision. Alors que 47 ambassadeurs ont été informés, dès décembre 2016, de leur future mission, la plupart d’entre eux n’ont toujours pas quitté le lieu de leur ancienne affectation en l’absence de l’ultime feu vert de l’administration. Idem pour les quatre ambassadeurs auprès des Nations unies et l’UA, dont la nomination avait pourtant suscité l’optimisme des chancelleries étrangères en mal d’interlocuteurs.

Manque de sens politique

De ce fait, quasiment les deux tiers des quatre-vingt-dix-sept ambassades nigérianes dans le monde – dont neuf vont être fermées – sont toujours animées par des chargés d’affaires. La plupart des anciens ambassadeurs nigérians ont été soit rappelés à Abuja après l’élection de Muhammadu Buhari, soit, âgés de plus de 60 ans, sont partis à la retraite comme la loi l’exige.

La présidence justifie cette situation par la nécessité de prendre son temps pour sélectionner les meilleurs profils. Cependant, la réalité est moins glorieuse. Les nominations, à l’image de toutes les grandes décisions depuis deux ans, imposent des mois d’attente à la population nigériane. De plus, lorsque les nominations de cadres de l’Etat sont annoncées, elles ne sont pas systématiquement, loin s’en faut, de meilleur niveau que lors de la précédente administration, tellement décriée, de Goodluck Jonathan (2010-2015).

Enfin, lorsque des candidatures sont finalement proposées au Sénat nigérian, il n’est pas rare que l’incontournable et puissante institution rechigne à examiner ces dossiers, voire, y mette son veto. Cette attitude s’explique notamment par un manque de sens politique du chef de la fédération dont les efforts pour inclure au maximum les institutions dans la prise de décision sont rares alors même que les attaques contre le président du Sénat Bukola Saraki – pourtant du même parti que Muhammadu Buhari – sont légion.

Ambassades attentistes

Pour porter la voix du Nigeria, le président dispose donc aujourd’hui de peu d’acteurs. Les ambassades nigérianes, sans chefs, sont attentistes. A Abuja, la situation n’est pas meilleure. le président Buhari n’a pas de conseiller diplomatique, mais seulement une assistante spéciale chargée des questions diplomatiques et de la diaspora. Son ministre des affaires étrangères, Geoffrey Onyeama, juriste de formation, n’est pas un diplomate de carrière et il est bien seul pour porter les intérêts de son pays à l’étranger, alors même qu’il n’en a pas tous les codes. Enfin, Sola Enikanolaiye, l’actuel secrétaire général du ministère, ancien ambassadeur à New Delhi, est déjà la troisième personne à occuper ce poste depuis l’arrivée de Muhammadu Buhari et pourrait partir cette année à la retraite.

A ce panorama, peu susceptible de favoriser une diplomatie forte, s’ajoute que le chef de la fédération nigériane n’a jamais porté un grand intérêt aux questions internationales, à l’inverse de certains de ses prédécesseurs tel qu’Olusegun Obasanjo (1999-2007). La relative absence de doctrine diplomatique et d’acteurs pour la porter entraîne depuis deux ans une perte d’influence du Nigeria dans les instances multilatérales. Ainsi, à l’Union africaine, le pouvoir n’a pas su manœuvrer assez finement pour placer sa candidate au poste de commissaire pour la paix et la sécurité. Alors qu’il avait une commissaire dans la précédente équipe, aujourd’hui, ce poids lourd africain n’a plus aucun représentant à la commission.

Le temps presse

Muhammadu Buhari est déjà à mi-mandat. Dans un an, la campagne des primaires destinées à désigner le candidat du parti présidentiel, All Progessives Party (APC), ainsi que celui du principal parti d’opposition, People’s Democratic Party (PDP), risque de considérablement ralentir tout processus de nomination.

Pourtant, le temps presse. L’arrivée d’une nouvelle administration au Nigeria est habituellement propice au rappel de la plupart des ambassadeurs. Muhammadu Buhari a joué de cette prérogative il y a deux ans. Même si l’actuel président nigérian se décide enfin à envoyer en poste tous ses ambassadeurs dans les prochaines semaines, les heureux élus auront moins de deux ans pour travailler avant leur probable rappel. Une situation sans précédent au Nigeria, deuxième puissance économique d’Afrique.