Manifestation, à Séoul le 25 avril, contre la présence du porte-avions américain « USS Carl Vinson » au large de la Corée. | Ahn Young-joon / AP

Editorial du « Monde ». Le Pacifique est le théâtre d’un face-à-face inquiétant. D’un côté, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, militariste à tendance paranoïaque et qui se prend volontiers pour un demi-dieu, poursuit sa quête de l’arme nucléaire opérationnelle ; de l’autre, Donald Trump, un président américain à Tweet rapides, un tantinet insomniaque, imprévisible, et qui, à l’aube de ses cent jours à la Maison Blanche, s’est juré de « régler » le « problème nord-coréen ». Ces deux-là ne sont pas faits pour se comprendre. C’est dangereux.

Durant la guerre froide, Américains et Russes avaient appris à dialoguer. A Washington comme à Moscou, on avait une image assez précise de la perception qui était celle de l’adversaire. Cette logique partagée de ce qu’était la dissuasion nucléaire aux yeux de l’autre a permis une gestion plus maîtrisée des mégatonnes accumulées par les Etats-Unis et par l’Union soviétique. Elle a accouché d’une série de grands accords sur le contrôle et le désarmement nucléaires partiels des deux « Grands » de l’époque.

Rien de tel dans le jeu à trois dont les flots bleu sombre du Pacifique sont le terrain. En Corée du Nord, Kim Jong-un – petit fils du fondateur de l’impitoyable dictature au pouvoir à Pyongyang – multiplie tirs de missiles et tentatives d’essais nucléaires. Il menace la Corée du Sud et le Japon, pas encore la côte Pacifique des Etats-Unis, mais il y travaille.

Aux Etats-Unis, le républicain Trump profère avertissement sur avertissement à l’adresse du jeune Kim (33 ans, semble-t-il). Pas question, dit la Maison Blanche, de laisser la situation en l’état : « nous devons la résoudre » et « si la Chine ne nous aide y aide pas, nous le ferons nous-mêmes », répète Trump. A Pékin, Kim Jong-un déplaît profondément aussi, mais les dirigeants chinois continuent à soutenir économiquement cet encombrant allié.

Quels sont les objectifs des uns et des autres ? En se dotant de l’arme nucléaire, Kim veut assurer la survie de son régime. Sa stratégie : laisser croire qu’il est prêt à employer en premier l’arme nucléaire si on veut le renverser. A Washington, Trump entend que la question nord-coréenne fasse intégralement partie de la relation sino-américaine : de bonnes relations économiques et stratégiques avec l’Amérique supposent que la Chine obtienne l’abandon par Pyongyang de son programme nucléaire.

A Pékin, on privilégie une forme de statu quo. L’effondrement de la Corée du Nord, dit-on, conduirait à une réunification de la péninsule coréenne sous l’égide de la Corée du Sud, alliée stratégique des Etats-Unis. Les forces américaines aujourd’hui stationnées en Corée du Sud se retrouveraient aux portes de la Chine. Inacceptable. Si l’on veut à tout prix joindre les dossiers, souligne-t-on encore à Pékin, alors la Chine a une autre revendication. Elle veut que les Etats-Unis cessent de s’opposer à sa domination en mer de Chine.

Le président américain a montré qu’il ne rechignait pas à un certain emploi de la force, en Syrie comme en Afghanistan. Le danger est que Kim Jong-un interprète mal un Tweet matinal de Trump le concernant. Risque plausible. Le plus probable est la poursuite d’une politique de sanctions, qui n’a jamais fait reculer Kim. Le plus souhaitable serait un vrai dialogue stratégique sino-américain. Il impliquerait aussi les deux Corées. Il serait destiné à combler le vide de sécurité dans lequel se trouve la zone Pacifique, une des régions les plus dynamiques du monde.