C’était son choix mais il ne pouvait pas le dire. D’abord parce qu’il lui était impossible de désavouer le candidat du Parti socialiste, qu’il a dirigé pendant onze ans. Ensuite parce qu’il redoutait de gêner la candidature d’Emmanuel Macron en lui apportant son soutien avant le premier tour : « Déjà que la droite dit qu’il est mon porte-serviette… », confiait-il en privé.

Mais la configuration d’un second tour entre son ancien ministre et Marine Le Pen lui ouvre la voie : dès le lendemain du premier tour, François Hollande a annoncé sans surprise et sans ambiguïté qu’il voterait pour son ancien protégé : « Pour ma part, je voterai Emmanuel Macron », a-t-il lancé lors d’une allocution enregistrée à l’Elysée. Le président sortant, qui a renoncé le 1er décembre 2016 à briguer un nouveau mandat, a jugé que le candidat d’En marche ! était celui qui défendait « les valeurs qui permettent le rassemblement des Français dans cette période si particulière, si grave que connaît le monde, l’Europe et la France ».

Il a estimé surtout que l’extrême droite faisait « courir un risque pour notre pays ». Comme il le fait depuis des mois, M. Hollande a délaissé le registre moral pour mettre en garde contre les conséquences concrètes d’un vote Le Pen. « Le pouvoir d’achat serait directement amputé (…) si la France sortait de la zone euro » tandis que des « milliers d’emplois seraient supprimés » si les « mesures protectionnistes » prônées par le Front national étaient mises en œuvre, a-t-il averti. Quant à la « taxation des produits venant de l’étranger », elle provoquerait « une hausse des prix qui frapperait les plus fragiles ».

Le chef de l’Etat poursuivra sa campagne contre le FN jusqu’au second tour. Mardi 25 avril, il devait se rendre en Mayenne, où le parti de Marine Le Pen a fait deux points de plus qu’en 2012. Jeudi, il sera dans le Cher et vendredi, en Bretagne. De son côté, Bernard Cazeneuve avait convié ses ministres à Matignon, lundi, pour caler une position commune. A l’issue de cette réunion qui a duré deux heures, le gouvernement a annoncé à son tour qu’il soutiendrait Macron « sans conditions ».

« Boîte de nuit géante »

Pressenti pour prendre la tête de la campagne des législatives, le premier ministre a indiqué à ses troupes qu’il serait disponible pour soutenir tel ou tel candidat socialiste mais qu’il n’aspirait pas au leadership. « C’est au PS de mettre en place son dispositif », a-t-il ajouté. « En gros, c’était un peu : “Chacun se débrouille dans sa circonscription” », soupire un ministre, alors que le PS risque d’être écartelé entre des rapprochements avec M. Macron ou M. Mélenchon.

Autour de la table, plusieurs ministres, dont Alain Vidalies (énergie et de la mer), Marisol Touraine (santé) et Thierry Mandon (enseignement supérieur), ont critiqué les premiers pas du candidat d’En marche !, qui a donné le sentiment d’avoir déjà gagné l’élection au soir du premier tour. « On peut penser que c’est gagné d’avance mais il serait plus sage de revenir à une attitude plus solennelle », a mis en garde l’un d’eux. « Le Pen a fait un énorme score, ce n’était pas vraiment le moment de festoyer », argue un ministre, qui rappelle que Jacques Chirac, en 2002, ou Xavier Bertrand au soir des élections régionales, en 2015, « étaient restés plus solennels et plus dignes ».

Un autre membre du gouvernement ne décolère pas contre cette « boîte de nuit géante, porte de Versailles », où les soutiens d’En marche ! étaient réunis dimanche soir, le « V de la victoire », le « baiser avec Brigitte » et « La Rotonde-Fouquet’s », parce que les Français supportent mal qu’on privatise, au sens propre et figuré, l’onction du suffrage universel.