Cela avait au départ l’apparence d’un banal conflit coutumier. C’est désormais une véritable guerre sale, meurtrière, confuse. En huit mois, les provinces du Kasaï, au centre de la République démocratique du Congo (RDC), sont devenues le théâtre de la barbarie de miliciens et de militaires congolais. Depuis début mars, quarante fosses communes ont été documentées par les Nations unies, des miliciens ont été massacrés par des soldats, des policiers ont été exécutés par des miliciens. Deux experts mandatés par les Nations unies pour tenter d’apporter un peu de lumière y ont été assassinés dans un contexte qui reste encore trouble.

Tout a démarré il y a un an avec le chef traditionnel Kamwina Nsapu, de son vrai nom Jean-Pierre Mpandi qui, à défaut d’être reconnu par l’Etat central comme successeur de son oncle décédé en 2012, a amorcé un début de sédition contre le régime de Joseph Kabila. Le nouveau Kamwina Nsapu est tué lors d’une brutale opération de police en août 2016. Ses fidèles se sont constitués en milices, reconnaissables à leur front ceint d’un bandeau rouge. On y trouve des femmes, des enfants, d’anciens policiers à la dérive. Ils affrontent l’armée, s’en prennent aux symboles du pouvoir, aux écoles, aux églises, avec pour seules armes des machettes, quelques vieux fusils de brousse et la croyance en leurs protections mystiques. Le pouvoir à Kinshasa les considère aujourd’hui comme des « terroristes ».

Entraves

L’insurrection s’est rapidement étendue à plusieurs provinces, cristallisant les mécontentements de nombreux habitants de cette région délaissée et traditionnellement favorable à l’opposition politique. Les revendications se sont politisées et appellent à l’organisation d’élections, à une alternance. Ce qui serait une première dans l’histoire du pays. Les violences se sont démultipliées. Des atrocités perpétrées par les deux camps sont filmées et diffusées sur Internet alors que le nombre de charniers exhumés ne cesse de grimper.

Lundi 24 avril, le gouvernement congolais a présenté une vidéo présumée de l’assassinat de l’Américain Michael Sharp et de la Suédoise Zaida Catalan, les deux experts qui enquêtaient pour le compte de l’ONU dans la région. On y voit des hommes portant l’accoutrement des miliciens de Kamwina Nsapu, bandeau rouge au front, tirer à bout portant sur les deux enquêteurs avant d’égorger Mme Catalan. Cette vidéo ainsi que d’autres sont diffusées sur les réseaux sociaux… et suscitent encore des questions. Pourquoi ces miliciens auraient-ils tué ceux qui venaient enquêter sur des crimes supposément commis par l’armée contre eux ? Pourquoi auraient-ils filmé ce double assassinat qui appuie les accusations du gouvernement ?

Les Nations unies, la Cour pénale internationale (CPI), qui pourrait se saisir du dossier, et plusieurs pays occidentaux ont exprimé leurs vives préoccupations sur ce qui pourrait constituer des éléments de preuves de crimes de guerre. Kinshasa s’est échiné à limiter l’accès d’observateurs et d’enquêteurs indépendants, quitte à entraver le travail de l’ONU, qui prévoit néanmoins de renforcer sa présence civile et militaire dans la région.

Un million de personnes déplacées

Acculé, le pouvoir politique a fini par dialoguer et négocier avec ce pouvoir traditionnel et spirituel qu’il a voulu réorganiser pour mieux le maîtriser. Les autorités congolaises ont fini par débuter une sorte de médiation avec la famille de Kamwina Nsapu, dont certains membres sont suspectés d’être corrompus et infiltrés par les services de renseignement. Un cousin du défunt chef a été désigné pour lui succéder le 16 avril. La famille régnante a appelé au calme. En vain. Les problèmes coutumiers ne semblent pas encore près d’être résolus. Une partie des Kamwina Nsapu continue le combat.

Un charnier, près de Kananga, la capitale du Kasaï-Central (République démocratique du Congo), le 12 mars 2017. | REUTERS

Les violences se poursuivent à l’est et à l’ouest de Kananga, capitale du Kasaï-Central, ainsi qu’à 200 km au nord-ouest, à Luebo, et dans des zones diamantifères, ce qui laisse craindre une exploitation illégale pour alimenter le conflit. Des affrontements se sont déplacés plus au sud, en direction de la frontière avec l’Angola traversée par près de 11 000 habitants fuyant le conflit. Le régime de José Eduardo dos Santos, puissance militaire régionale et principal protecteur de Joseph Kabila à ses débuts, a renforcé son dispositif sécuritaire à la frontière. Soucieux de la stabilité régionale dont dépend celle de la RDC, Luanda s’est distancié du régime de Kabila ces derniers mois et craint un débordement du conflit et de la crise humanitaire. Selon l’ONU, les violences ont provoqué le déplacement interne de plus d’un million de personnes.

Plusieurs observateurs redoutent aujourd’hui que le conflit s’enfonce dans une crise identitaire. Entre Tshokwe et Luba notamment. Le 19 avril, des affrontements intercommunautaires ont causé la mort de vingt personnes non loin de Tshikapa, chef-lieu de la province du Kasaï, vient d’annoncer l’ONU.

Certains politiques locaux assimilent désormais les miliciens Kamwina Nsapu à une insurrection luba, au risque d’attiser les haines. Selon plusieurs témoignages, les miliciens ont eu tendance à épargner les Luba, comme ce fut apparemment le cas lors du massacre de quarante policiers tués fin mars, et prennent soin de sélectionner leurs cibles en fonction de leur ethnie. Des embryons de milices Kamwina Nsapu ont également été repérés par les autorités congolaises dans l’ex-Katanga. La région la plus riche du pays est aussi celle de Joseph Kiabila et de celui qui apparaît désormais comme son principal opposant, l’ex-gouverneur Moïse Katumbi.

Certains hauts responsables du régime Kabila n’hésitent pas à évoquer des liens entre des caciques de Kamwina Nsapu et des membres de l’opposition, voire de parler d’une « armée de l’UDPS », acronyme du parti cofondé par la grande figure de l’opposition Etienne Tshisekedi, originaire du Kasaï, décédé le 1er février à Bruxelles.

Violation de l’accord de décembre 2016

Depuis, le dialogue politique inclusif avec le pouvoir débuté sous l’égide de l’Eglise catholique congolaise est au point mort. Joseph Kabila, dont le deuxième et dernier mandat s’est achevé le 19 décembre 2016, a négocié son maintien au pouvoir jusqu’à la tenue d’élections générales en décembre 2017. L’opposition, désormais divisée, conteste la nomination le 7 avril par le chef de l’Etat du nouveau premier ministre, Bruno Tshibala, issu des rangs de l’UDPS. L’Eglise catholique congolaise a dénoncé une violation de l’accord signé par la majorité présidentielle et l’opposition le 31 décembre 2016 puisque le texte prévoyait que le poste de premier ministre revienne à un membre proposé par l’opposition et désigné par le chef de l’Etat. Or M.Tshibala a été directement nommé par Joseph Kabila.

Cette nomination unilatérale suscite l’inquiétude des partenaires occidentaux, d’autant plus que le premier ministre n’a toujours pas présenté de gouvernement. Pas de quoi infléchir la position de Joseph Kabila qui se refuse toujours à recevoir les leaders d’une fragile opposition qu’il est parvenu à diviser pour finir par s’en servir. Le temps passe et le président, qui peut désormais se projeter au-delà de 2017, semble tout faire pour empêcher la tenue des élections. Pas de calendrier électoral, pas de budget, pas d’importation du matériel électoral et un enrôlement des électeurs désormais impossible dans les provinces du Kasaï.

L’organisation de ces élections, censées permettre la première alternance politique pacifique de l’histoire du pays, est techniquement impossible d’ici la fin de l’année, selon plusieurs experts électoraux. Ce qui pourrait motiver encore un peu plus ceux qui croient dans les armes plutôt que dans les urnes.