LA LISTE DE NOS ENVIES

De l’Asie à Hollywood, en passant par Paris, la sélection de la semaine fait le tour de la planète cinéma.

CHRONIQUE DE L’AMERTUME ORDINAIRE : « APRÈS LA TEMPÊTE », DE KORE-EDA

APRÈS LA TEMPÊTE - Bande Annonce
Durée : 02:09

Hirokazu Kore-eda, peintre assidu des familles japonaises et de leurs déliaisons, semblait s’être installé dans le ronronnement doux-amer de ses mélodrames, certes toujours d’une bonne tenue, mais dont la retenue finissait par devenir monotone.

Après la tempête, son dernier film présenté l’année dernière à Cannes (Un Certain Regard) sans y avoir fait beaucoup de vagues, marque pourtant un infléchissement appréciable dans son œuvre, tant il réaffirme avec vigueur son goût pour les personnages et l’exploration de leurs individualités blessées. Plus ramassé dans sa dramaturgie, habité par une belle cohérence plastique, le film charrie des affects beaucoup moins tranchés que dans les films précédents de l’auteur, et fait preuve d’un beau regain de mordant.

Espoir évaporé de la littérature, n’ayant jamais confirmé les promesses de son premier roman, Ryota croupit dans un boulot peu glorieux de détective privé, dont il profite pour épier en douce son ex-femme Kyoko (Yoko Maki), en passe de se remarier, et son jeune fils Shingo (Taiyo Yoshizawa), dont il ne parvient jamais à payer la pension alimentaire. Le cinéaste situe cette chronique condensée dans le décor ordinaire des résidences HLM, dont la sage conformité et les demi-teintes blêmes semblent avoir raison de tout rêve de grandeur. Mathieu Macheret

Film japonais d’Hirokazu Kore-eda. Avec Hiroshi Abe, Kiki Kirin, Yoko Maki, Taiyo Yoshizawa (2 heures).

DE LA BIRMANIE ET LA THAÏLANDE, PLUS DURE LA VIE : « Adieu Mandalay », de Midi Z

Adieu Mandalay Film Annonce Officiel
Durée : 01:14

Né en 1982 en Birmanie, émigré à Taïwan pour fuir la pauvreté de son pays natal, Midi Z est devenu cinéaste presque par hasard. Mais, depuis qu’il s’est mis à filmer, en 2011, le jeune homme ne s’est pas arrêté, alternant fictions et documentaires qui ont formé, au fil des ans, un portrait composite de son pays d’origine. Adieu Mandalay est une histoire inventée, mais le film prend à bras-le-corps une réalité sur laquelle, en Birmanie comme dans le reste du monde, on préfère fermer les yeux.

Liangqing (Wu Ke-Xi) et Guo (le jeune acteur taïwanais Kai Ko), issus d’une minorité sinophone de la région de Mandalay, émigrent en Thaïlande depuis la Birmanie. Pendant que Liangqing trouve un emploi de plongeuse dans un restaurant, Guo tente de se faire embaucher dans l’industrie textile.

Midi Z filme avec une colère froide les contraintes insupportables qui pèsent sur ces jeunes gens. Avec le même acharnement qu’Emile Zola ou Upton Sinclair, il détaille minutieusement le danger du travail aux pièces, les tracasseries administratives, la corruption qui semble être le seul remède à l’oppression. Thomas Sotinel

Film taïwanais et birman de Midi Z. Avec Kai Ko, Wu Ke-Xi (1 h 48).

UNE RECETTE MADE IN HOLLYWOOD : « Les Gardiens de la galaxie 2 », de James Gunn

LES GARDIENS DE LA GALAXIE 2 Bande Annonce VOST (2017)
Durée : 01:39

Il y a bientôt trois ans, Les Gardiens de la galaxie, première incursion de James Gunn, jeune cinéaste venus des marges de Hollywood, dans l’univers des films à plus de 150 millions de dollars, proposait une inédite recette de blockbuster. Adapté d’un comic Marvel, le film tournait le dos au genre superhéros, pour mêler le space opera et la parodie potache, propulsant dans l’espace un gang de sympathiques hors-la-loi, aussi irresponsables qu’enthousiastes.

Après avoir rapporté 770 millions de dollars de recettes de par le monde, il était assuré d’une descendance, dont Disney – la maison mère de Marvel – propose aujourd’hui le premier rejeton. Ce serait méconnaître les lois les plus élémentaires de l’économie de marché que d’attendre du studio qu’il prenne à nouveau le risque d’offrir aux consommateurs un produit nouveau.

Heureusement, James Gunn s’est aussi préoccupé de l’emballage. Son évidente érudition en matière de culture pop et son accès à toute la bibliothèque et aux coffres-forts de Marvel lui permet de convoquer aussi bien le souvenir du Starman de John Carpenter que de ressusciter à nouveau Howard le canard et de convoquer pour une panouille Sylvester Stallone. Ces épices masqueraient presque la texture sirupeuse du reste. T. S.

Film américain de James Gunn, avec James Pratt, Kurt Russell, Zoe Saldana (2 h 17)

VOYAGES VOYAGES : Rétrospective Barbet Schroeder, au Centre Pompidou

Teaser | Barbet Schroeder | Cinéma | Centre Pompidou
Durée : 00:31

Si l’on veut trouver un fil conducteur dans le parcours du plus déconcertant des cinéastes issus de la Nouvelle Vague, on le trouvera peut-être dans cette idée du cinéma comme une action qui force son auteur à bouger, à sortir de lui-même. Du tournage clandestin de More, son premier long-métrage, dans l’Espagne franquiste à celui, tout aussi discret, du Vénérable W., en Birmanie, les films de Barbet Schroeder se lisent comme une série d’aventures et d’épreuves que le cinéaste s’est imposées à lui-même.

En 1972, il mène une équipe dans une région inexplorée de Nouvelle-Guinée pour y tourner La Vallée, une fiction qui sonne, sur une magnifique bande originale de Pink Floyd, le glas des utopies de la décennie précédente. Deux ans plus tard, il est en Ouganda, à la cour d’un dictateur sanguinaire et puéril, à qui il a proposé la confection d’un film à sa gloire. Décidé à tourner aux Etats-Unis, Barbet Schroeder choisit comme cheval de Troie le moins recommandable des personnages californiens, l’écrivain Charles Bukowski, et doit attendre huit ans pour arriver à ses fins : Barfly, avec Mickey Rourke et Faye Dunaway, qui jouent sur un scénario original de Bukowski, sort en 1987.

Alors que Barbet Schroeder semble enfin installé quelque part, à Hollywood, il repart en 2000 à Medellin, où il dirige La Vierge des tueurs. Viendront ensuite la fréquentation assidue de l’avocat Jacques Vergès, qui produira L’Avocat de la terreur (2007) et le voyage à Tokyo, dans les studios de la Toho où il dirige une équipe japonaise pour Inju.

A sa façon, lucide, souvent légère, Barbet Schroeder est fasciné par l’addiction, par le passage à l’acte criminel, par les formes extrêmes du désir érotique. Le cinéaste poursuit ces monstres séduisants aussi bien en imagination que dans la réalité.

Dans Le Mystère von Bülow, Jeremy Irons est un monstre de froideur dont on finit par se moquer qu’il ait ou pas empoisonné sa femme – il en est capable et c’est ce qui le rend fascinant. Dans L’Avocat de la terreur, Jacques Vergès provoque le même type de vertige qui mêle intimement l’admiration et la répulsion. Charles Bukowski était alcoolique, aussi dépendant à sa drogue d’élection qu’Elric, le joueur qu’incarne Jacques Dutronc dans Tricheurs. Ils sont filmés d’aussi près l’un que l’autre, jusqu’à ce que le plus abstinent des spectateurs hume les vapeurs d’alcool, frissonne à l’approche d’une table de roulette. T. S.

Rétrospective Barbet Schroeder. Centre Pompidou, Paris 4e, jusqu’au 11 juin.
Coffret « Barbet Schroeder, un regard sur le monde » et DVD « The Charles Bukowski Tapes », Carlotta Editions.