Editorial du « Monde ». Dans notre volonté farouche d’essayer d’identifier et de comprendre les ressorts de la folie terroriste pour mieux nous en prémunir, il nous arrive de consacrer plus d’énergie – et de place – aux terroristes eux-mêmes qu’à leurs victimes. Les mémoriaux que nous avons publiés avec les portraits des victimes des attentats de Nice et du 13 novembre 2015 visaient, notamment, à réparer cette injustice.

Attaque des Champs Élysées : l'hommage émouvant d'Étienne Cardiles à son compagnon Xavier Jugelé
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Il nous faut aujourd’hui remercier Etienne Cardiles, le compagnon de Xavier Jugelé, le policier assassiné dans l’attentat du 20 avril sur les Champs-Elysées, pour avoir noblement et fermement replacé ces victimes dans le contexte d’un combat crucial, celui des valeurs seules capables de résister à la campagne terroriste.

L’allocution prononcée par M. Cardiles au cours de l’hommage national rendu au policier mardi 25 avril est une leçon de dignité et de civisme. En reprenant les mots d’une autre personne durement frappée par le terrorisme, Antoine Leiris, le mari d’Hélène Muyal-Leiris, tuée au Bataclan, il a fait le lien entre les différents attentats qui, depuis 2012, cherchent à déstabiliser notre pays et notre société. « Vous n’aurez pas ma haine », disait Antoine Leiris : « Une leçon de vie, reprend Etienne Cardiles, qui m’avait fait tant grandir qu’elle me protège aujourd’hui. »

Une autre image de la police

Xavier Jugelé connaissait bien le Bataclan, pour la musique et aussi parce qu’il y avait été appelé en renfort, la nuit tragique du 13 novembre. Bon nombre de parents de victimes, comme Georges Salines, le père de Lola Salines, également tuée au Bataclan, présent lors de la cérémonie à la mémoire de Xavier Jugelé mardi, et de nombreux survivants de ces attaques, marqués à jamais, sont aujourd’hui impliqués dans diverses associations qui travaillent à la diffusion des valeurs de tolérance et de solidarité, en particulier dans les écoles. Non seulement ce travail est de la plus grande utilité, mais il est la meilleure riposte possible à l’œuvre de destruction des terroristes.

Il n’est pas commun de voir un président de la République remercier, devant un parterre de hauts responsables, le compagnon d’un policier tombé

Xavier Jugelé et son compagnon laissent un héritage supplémentaire, celui d’avoir offert une autre image de la police que celle de la brutalité qui, parfois à juste titre ces derniers mois, a suscité la réprobation, voire l’indignation. Il n’est pas commun de voir un président de la République remercier, devant un parterre de hauts responsables, le compagnon d’un policier tombé : Xavier Jugelé et Etienne Cardiles ont aussi permis de montrer que la police, à l’image de la société, a considérablement évolué.

Enfin, la carrière exemplaire du capitaine Jugelé et le portrait qu’en a dressé son compagnon ont le mérite de rappeler à ceux qui en doutent la fonction essentielle des forces de sécurité : la protection des citoyens, et non leur répression. Ce sont avant tout des gardiens de la paix, au péril de leur vie. Une force publique chargée de garantir les droits de l’homme et du citoyen, comme l’a utilement rappelé M. Cardiles, en citant la Déclaration des droits de l’homme. En première ligne dans la lutte antiterroriste dont ils sont des cibles évidentes, militaires, gendarmes et policiers sont mobilisés sans relâche depuis deux ans. Six policiers ont été assassinés par des terroristes dans la même période. Comme les autres victimes, ils méritent notre respect. « Gardons la paix », comme l’a si bien dit M. Cardiles.