Boîte de tampons à Londres, en Grande-Bretagne, le 18 mars 2016. | REUTERS

« Je me sens lourde et fatiguée... (...) J’ai comme l’impression d’avoir été ouverte sur tout le ventre, et que tous mes organes vont tomber à chaque fois que je fais un pas. » Le documentaire Tampon, notre ennemi intime, qui a été diffusé mardi 25 avril sur France 5, s’ouvre sur le témoignage de Margaux, qui a « frôlé la mort ». Il y a trois ans, l’infirmière de 23 ans a été victime d’un syndrome du choc toxique (SCT), provoqué par l’utilisation d’un tampon hygiénique.

Epuisement brutal, forte fièvre, vomissements... Justine a souffert des mêmes symptômes. Psychanalyste de 26 ans, elle a raconté à la réalisatrice Audrey Gloaguen vivre « dans l’angoisse d’une récidive ». Perte de cheveux, problèmes cardiaques... La jeune femme garde de graves séquelles de son infection. Aux Etats-Unis, Lauren Wasser, une mannequin de 24 ans, qui a porté plainte contre une marque de tampons, a dû quant à elle être amputée d’une jambe après avoir fait un choc toxique.

Cette maladie avait disparu. Son retour, lié à l’utilisation de tampons, soulève des interrogations.

  • Qu’est-ce qu’un choc toxique ?

Le choc toxique peut potentiellement toucher 1 % des femmes, celles qui sont porteuses du staphylocoque doré (Staphylococcus aureus) dans leur vagin. « Le fluide menstruel est bloqué, il va rester au chaud, expliquait dans nos colonnes le professeur Gérard Lina, microbiologiste spécialiste du SCT, qui intervient aussi dans le documentaire. C’est donc un milieu de culture formidable, et s’il y a cette fameuse bactérie, elle va se mettre à produire une toxine (TSST-1) qui va passer dans le sang. » D’où l’importance d’éviter de garder un tampon plus de quatre heures. Les patientes risquent la mort si la maladie n’est pas prise en charge rapidement.

Mais le diagnostic n’est pas toujours bien posé. Après un choc toxique, « 20 % des femmes rentrent chez elles sans savoir ce qui s’est passé », affirme Gérard Lina. Or, le risque de récidive est important, en particulier si elles utilisent à nouveau des tampons. Pour le professeur, qui mène une étude sur l’augmentation inquiétante des cas de SCT, ce n’est que « la partie émergée de l’iceberg ». Aucun cas n’avait été recensé en 1990, puis 5 en 2004, 19 en 2011 et 22 en 2014. Il émet plusieurs hypothèses pour l’expliquer : la nature des composants, l’utilisation accrue de tampons ou une évolution de la flore vaginale due peut-être à l’alimentation.

En 1980 déjà, le tampon Rely avait provoqué outre-Atlantique 600 SCT en un an parmi ses utilisatrices, dont une centaine de décès. Procter & Gamble avait dû retirer du marché américain son produit ultra-absorbant, après un procès. Si les fabricants sont, depuis, obligés d’indiquer le risque sur les emballages vendus aux Etats-Unis, ce n’est toujours pas le cas en Europe. Les femmes doivent faire le choix du moins absorbant, grâce au nombre de gouttes indiqué sur les paquets : « Tant qu’elles n’auront pas compris cela, il y aura un danger », estime dans le documentaire la féministe néerlandaise et ancienne eurodéputée Nels Van Dijk.

  • Quelles substances trouve-t-on dans les tampons ?

Au-delà du risque de choc toxique, les tampons – qualifiés de « poubelle chimique » par Audrey Gloaguen – cachent d’autres dangers.

Des études prouvent la présence de produits chimiques dans les tampons. Celle de 60 Millions de consommateurs met en évidence des traces de dioxines, l’un des douze polluants les plus dangereux au monde, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et des résidus de dérivés halogénés, liés aux traitements des matières premières. Audrey Gloaguen a fait tester les six marques les plus utilisées par les femmes. Il y a tellement de composants chimiques « qu’il nous est impossible d’en faire l’inventaire », dénonce-t-elle. Le chimiste Bernard Tailliez en a trouvé entre vingt et trente.

La cellulose des tampons provient des arbres, pas du coton. Les fibres sont de couleur marron. Pour les blanchir, les industriels peuvent utiliser du dioxyde de chlore, voire du chlore élémentaire, qui produisent des dioxines, des perturbateurs endocriniens. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) confirme leur présence dans des échantillons de tampons. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) doit remettre cet été les résultats de son évaluation des risques.

  • Ces produits sont-ils dangereux ?

Lésions dermiques, altération de la fonction hépatique, dégradation du système immunitaire... sont quelques-uns des effets de ces dioxines répertoriés par l’OMS. D’après le toxicologue belge Dominique Lison, interviewé dans le film, les dioxines seraient aussi responsables de l’endométriose, une pathologie très douloureuse à l’origine d’infertilité. Autre perturbateur endocrinien retrouvé dans certains voiles et matières absorbantes : le DEHP, un phtalate, cancérigène interdit en Europe dans les jouets et les cosmétiques. Ou encore du glyphosate, c’est-à-dire... du désherbant.

Les femmes utilisent en moyenne 11 000 tampons dans leur vie, rappelle le Dr Lina. Même présents en faible quantité, les produits chimiques s’accumulent dans le corps.

  • Le marché des tampons est-il régulé ?

Aucune loi particulière n’encadre les tampons, pointe la journaliste et réalisatrice Audrey Gloaguen. Les industriels n’ont pas l’obligation de dévoiler leur composition, contrairement aux médicaments. En juin 1999, la Commission européenne aurait même laissé les fabricants établir leurs propres règles concernant la sécurité de ces protections hygiéniques. Désireuse de faire évoluer la réglementation, l’eurodéputée Michèle Rivasi (Verts / Alliance libre européenne) a écrit à la Commission en avril 2016, en vain.

Une pétition lancée par une étudiante, réclamant à Tampax la transparence à propos de leurs produits, a déjà récolté 260 000 signatures. Cette marque, du groupe américain Procter & Gamble, avait annoncé en janvier 2016 qu’elle dévoilerait au printemps la composition exacte de ses produits. En réalité, selon Libération, « elle va juste afficher sur l’emballage les bribes d’informations déjà présentes dans la notice ». Le quotidien souligne aussi dans son enquête la présence d’une association protégeant des industriels du secteur, Edana, au sein de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), sur laquelle s’appuie la Commission pour fixer les seuils maximaux de substances toxiques.