Maria Sharapova. | A2931/_Bernd Weissbrod / AP

Vous avez pu lire ici ou là que Roland-Garros commençait le dimanche 28 mai. C’est faux : cette année, Roland commence le 16 mai, jour de l’annonce de l’attribution des invitations. Parmi la flopée de joueurs anonymes y prétendant s’est glissée la joueuse la plus célèbre du circuit : Maria Sharapova. Et le tournoi parisien a décidé, toute honte bue, d’en faire un événement en diffusant sur Internet, en direct, l’annonce des wild-card. Du jamais vu.

Il est vrai que l’événement devrait dépasser, en retombées médiatiques, le tournoi féminin lui-même, dont l’identité de la lauréate 2016 vous a sans doute échappé, et ce d’autant plus que Serena Williams, enceinte, ne sera pas à Paris.

L’annonce porte en elle un enjeu plus important que l’audience de la page Facebook de Roland-Garros. Il s’agit, pour le Grand Chelem français et au-delà pour le tennis tout entier de gérer le retour à la compétition de Maria Sharapova, suspendue pour dopage depuis quinze mois.

Retour à Stuttgart

La Russe était le nom le plus ronflant parmi les 172 cas positifs au meldonium annoncés dans les trois premiers mois de 2016. Ce médicament, distribué principalement en Europe de l’Est et en vente libre, était censé prévenir des problèmes cardiaques. Mais il était largement détourné dans cette même région, du fait de possibles propriétés dopantes. Au 1er janvier 2016, l’Agence mondiale antidopage l’a interdit.

Initialement suspendue vingt mois par la Fédération internationale de tennis (ITF), Maria Sharapova a fait appel et obtenu du Tribunal arbitral du sport (TAS) que son absence soit réduite à quinze mois. Depuis, elle cite en boucle les paragraphes 100 et 101 de la décision du TAS : l’instance reconnaît que la joueuse n’a pas cherché à dissimuler la prise de meldonium, qu’elle l’a pris de bonne foi et n’a pas été correctement informée par les instances de son passage sur la liste des produits interdits. Pour le TAS, Maria Sharapova n’avait pas d’intention de se doper.

A la suite de sa suspension, Sharapova a perdu tous ses points WTA. A 30 ans, elle serait censée repartir de la base, sur des tournois secondaires, et progressivement remonter au classement pour s’inviter dans les meilleures compétitions. Pourtant, mercredi soir, elle devait disputer son premier match au tournoi de Stuttgart, face à l’Italienne Roberta Vinci.

« On ne devrait pas lui dérouler le tapis rouge »

Stuttgart l’a invitée et arrangé le calendrier de sorte qu’elle puisse disputer son premier tour le mercredi, au lendemain de sa fin de suspension. Le tournoi est sponsorisé par Porsche. Comme Sharapova. Dans la foulée, elle sera invitée à Rome et Madrid, les plus prestigieux tournois sur terre battue derrière Roland-Garros. Cette politique ne convient pas à toutes ses adversaires : la Russe, jugée distante et carnassière, n’a jamais eu beaucoup d’amis. Entre autres rebuffades, citons les mots de la Française Alizé Cornet, interrogée le week-end dernier : « On ne devrait pas lui dérouler le tapis rouge. (…) Malheureusement, le tennis reste du business… Mais moralement, ce n’est pas bien. »

En business, Maria Sharapova est encore meilleure qu’en tennis, ce qui n’est pas rien pour une joueuse double vainqueur de Roland-Garros. Jusqu’à son contrôle positif, elle était, depuis onze ans, la joueuse la mieux rémunérée du circuit, selon Forbes. Un seul sponsor l’a quittée, l’horloger Tag Heuer. Les autres, après une courte valse-hésitation, sont restés aux côtés de la championne la plus bankable du sport féminin.

Depuis la décision du TAS, Maria Sharapova n’a jamais été aussi présente : événements mondains, selfies avec Elton John, omniprésence sur les réseaux sociaux, et même interviews dans la presse, elle qui d’ordinaire est inaccessible.

Entretien lacrymal, le week-end dernier, dans Le Parisien Magazine, où elle raconte combien fut « dur à vivre » d’être privée de « ce métier qu’on [lui] enlevait d’un coup ». Sharapova, comme les rares membres de son entourage habilités à s’exprimer, ne parlent jamais de « suspension pour dopage » mais de « cette année loin des courts » ou de « la situation ».

La championne a aussi dévoilé la couverture de sa future autobiographie, baptisée Inarrêtable. Elle y évoquera sa suspension pour dopage, pudiquement rebaptisée « son combat pour revenir sur les courts » dans le communiqué de presse.

La WTA pousse Sharapova

Parallèlement, la WTA, circuit privé distinct de la fédération internationale et qui organise l’élite du tennis féminin, a accueilli avec beaucoup de bienveillance le retour à la compétition de la Russe. Jusqu’à titrer « Le tennis a besoin de Maria » un article dans lequel plusieurs de ses adversaires s’exprimaient contre les invitations délivrées à Sharapova. « Je ne veux pas parler pour les Grands Chelems, et je ne veux pas les mettre dans une position délicate, mais Maria s’est conduite avec beaucoup d’intégrité (sic) », estimait en octobre Steve Simon, patron de la WTA.

Double vainqueur porte d’Auteuil, son tournoi préféré dans une ville à son image, Maria Sharapova ne compte pas faire l’impasse sur Roland-Garros.

La Fédération française de tennis saura-t-elle résister à ce rouleau compresseur, et ce alors que la grossesse de Serena Williams prive le tournoi féminin de sa seule star ?

« On n’est pas dans une logique de réaliser un casting, ce n’est pas un opéra-rock mais un tournoi avec ses incertitudes », s’est défendu mercredi le nouveau président de la FFT, Bernard Giudicelli, lors d’une conférence de presse de présentation de Roland-Garros.

Invitée aux qualifications ?

Dans un premier temps réticent à accueillir Sharapova, au nom de la lutte antidopage, il a rencontré en Californie, au mois de mars, l’ancienne numéro un mondiale. A la demande de la joueuse.

« On a longuement discuté, elle et moi, avait-il raconté à l’issue de l’entretien, sur Facebook. C’est une grande championne, elle a vécu des moments difficiles, on va réfléchir. Ce n’est pas une décision facile. »

De quoi augurer un revirement de position ? La presse anglaise estimait mardi que la fédération française pourrait trouver une solution médiane en invitant la Russe aux qualifications. Tout le monde serait, en apparence, gagnant : Sharapova n’aurait pas de difficultés à accéder au tableau final – mais emmagasinerait un peu de fatigue –, la FFT passerait pour moins indulgente que d’autres tournois, et les billets pour les qualifications s’arracheraient.

Les pressions parviennent en tout cas de toutes parts aux oreilles du directeur du tournoi, Guy Forget : « Je ne vous cache pas que le président et moi-même recevons parfois des coups de téléphone ou des petits messages de certains ou certaines qui essaient d’influencer ce choix. »

Roland-Garros commence le 16 mai.