Au large de Quiberon, en 2012. | FRED TANNEAU / AFP

Les régions ultrapériphériques (RUP) de l’Union européenne sont à la peine. Les membres de la commission de la pêche du Parlement européen ont donc décidé de soutenir la construction de bateaux, activité essentielle à leur économie, à l’occasion du vote d’un rapport sur la gestion de ces flottes de pêche, jeudi 27 avril.

Mais sous couvert de coup de pouce aux territoires lointains (outre-mer français, îles Canaries espagnoles, Madère et les Açores pour le Portugal), les députés ne risquent-ils pas d’entrouvrir la porte à un retour des aides publiques à la construction de nouveaux bateaux de pêche ? Parce qu’elles ajoutent des pressions supplémentaires sur des populations de poissons déjà exsangues pour certaines, ce type de subventions a été supprimé en 2002 dans l’Union européenne.

Sonner l’alarme

L’association de défense de l’océan Bloom tire la sonnette d’alarme contre l’amendement 39 bis ajouté quelques jours avant le vote demandant d’autoriser « le financement des navires de pêche artisanale et traditionnelle des RUP qui débarquent la totalité de leurs prises dans les ports de ces régions et qui contribuent au développement local et durable ».

« Clairement, les outremers souffrent d’un retard structurel, comme l’a encore montré la crise de la Guyane, mais distribuer des subventions publiques pour construire des bateaux, ce n’est pas la solution », avance Claire Nouvian, fondatrice de Bloom. Elle énumère les mesures qui pourraient légitimement bénéficier d’aides, selon elle. Celles-ci devraient plutôt aller à l’évaluation scientifique des stocks halieutiques qui est nettement insuffisante dans ces régions et à la surveillance de ces eaux où sévit la pêche illégale.

Il faudrait en outre régler politiquement la question des accords de pêche qui autorise l’activité de grands navires étrangers dans les parages moyennant des licences. « L’actuelle politique commune de la pêche permet déjà tout cela, assure-t-elle. On peut tout aider, sauf de nouvelles coques ! » Certains des axes de travail qu’elle cite figurent au demeurant dans le rapport avec lequel la Commission pêche souhaite interpeller Bruxelles sur le sort des RUP.

Traitement d’exception

« Il s’agit juste de remplacer un bateau vétuste par un bateau neuf. La question n’est pas d’augmenter la capacité de pêche dans les outremers où 70 % de l’activité concerne de toutes petites embarcations de deux à quatre mètres de long, plaide la députée européenne Isabelle Thomas (PS). Seulement il n’y a pas d’investisseurs privés prêts à mettre de l’argent pour cela. Ce sont des zones qui connaissent la grande pauvreté, pourquoi ne pourraient-elles pas bénéficier d’un traitement d’exception comme c’est déjà le cas de l’agriculture des RUP ? »

Le rapport de la Commission pêche souligne en particulier la situation inextricable des Antilles, où la contamination à la chlordécone – un insecticide utilisé pendant vingt ans sur les cultures de bananes – interdit aux pêcheurs de travailler sur des dizaines de kilomètres carrés de bandes côtières. Pour aller plus au large, ils ont besoin de navires plus puissants. « Cette mesure n’en est qu’au début d’un long parcours entre les institutions européennes, avance Isabelle Thomas. S’il y a des failles, on aura l’occasion de les corriger. »

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Mais Claire Nouvian n’en démord pas : le lobby des industriels du secteur est prêt à s’engouffrer dans la brèche et « le débat sur ces subventions néfastes a déjà été tranché ! » Le rouvrir enverrait un fort mauvais signal à quelques semaines de la première grande conférence sur l’océan qu’organisent les Nations unies à New York, du 5 au 9 juin.

Celle-ci doit examiner comment atteindre l’objectif de développement durable (ODD) que se sont fixés les Etats de « conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines », sans les mettre fatalement à mal. Or, entre autres préceptes, cet ODD n° 14 stipule précisément : « Les subventions à la pêche contribuent à l’épuisement rapide de nombreuses espèces de poissons et empêchent les efforts de sauvetage et de restauration de la pêche mondiale et des emplois qui y sont liés, générant une perte de 50 milliards de dollars par an pour le secteur de la pêche maritime. »