Sur la façade d’une banque à Sao Paulo, le 28 avril, des autocollants et une bannière : « Nous sommes en grève. » | Andre Penner / AP

La mobilisation fut moins grande qu’espérée, mais sa visibilité certaine. Vendredi 28 avril, à l’appel des grands syndicats du pays, le Brésil s’est paralysé. Ecoles publiques et privées, postes, banques, commerces, transports, hôpitaux ont été perturbés à Sao Paulo, Brasília, Rio de Janeiro et dans la plupart des grandes villes par une grève générale réclamée en signe de protestation à la réforme du marché du travail et à celle des retraites.

Deux mesures phares du gouvernement de Michel Temer (Parti du mouvement démocratique brésilien – PMDB –, centre). La première vise à réformer un code du travail datant de 1943 et inspiré, dit-on, de celui écrit en Italie à l’époque de Benito Mussolini. Elle propose entre autres, des journées de travail de douze heures, dans la limite de 48 heures hebdomadaires (incluant quatre heures supplémentaires). La seconde consiste à repousser l’âge de la retraite à 65 ans pour les hommes et 62 ans pour les femmes.

Journée de salaire perdue

« Ce ne sont pas des réformes, c’est une suppression de nos droits ! », s’étrangle Roberto Ponciano, secrétaire adjoint à la santé à la Centrale unique des travailleurs (CUT) de Rio de Janeiro. Dans la matinée, le syndicaliste s’est rendu à diverses mobilisations dans l’ancienne capitale aujourd’hui au bord de la faillite. Décrivant des rues désertes, des boutiques aux portes closes, il reconnaît toutefois que les manifestants n’ont pas été aussi nombreux qu’il espérait. A Sao Paulo, la foule des protestataires était également clairsemée, tandis que les transports publics ont été, en partie, assurés. Un semi-échec alors que le président Michel Temer en poste depuis un an à peine frise des records d’impopularité, recueillant à peine 10 % d’opinion positive.

« On gêne des milliers de personnes à cause de 15, 20, 50 personnes. Les gens veulent travailler et ils en sont empêchés », a commenté dans la matinée le ministre de la justice, Osmar Serraglio, sur la radio CBN, parlant d’une grève qui « apparemment n’existe pas ». Après s’être entretenu pendant la journée avec son secrétaire général, M. Temer a lui aussi donné le sentiment d’être soulagé jugeant la mobilisant moins forte qu’attendue.

A écouter les militants de Sao Paulo, une des raisons de la faible adhésion dans la capitale paulista serait liée à la pression exercée par le maire, Joao Doria du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, centre gauche) soutien du PMDB. Après avoir moqué les manifestants qui ne se seraient pas réveillés assez tôt pour bloquer son chemin, l’édile a qualifié les grévistes de « vauriens » et de « paresseux ». Un mail, dont Le Monde a obtenu copie, rappelait notamment que tout employé de la mairie qui ne viendrait pas travailler le 28 avril serait pénalisé, perdant une journée de salaire. Et de préciser n’avoir « rien contre les manifestations publiques ».

« Une démonstration significative »

Lors de la grève générale contre les réformes du gouvernement Temer, à Rio de Janeiro, le 28 avril. | RICARDO MORAES / REUTERS

Mal-aimé, porteur de réformes contestées et hautement suspecté de corruption, le président Temer a, dans la foulée, obtenu un soutien inattendu sur les réseaux sociaux où semblaient s’opposer le Brésil qui se lève tôt aux « fainéants ». Une bataille virtuelle qui s’est traduite par un affrontement de mots-clés : #agrevefracassou (« la grève a échoué »), #euvoutrabalhar (« je vais travailler ») face aux #Brasilemgreve (« Brésil en grève »), #Grevegeral (« grève générale ») et #ForaTemer (« Temer dégage »). Sur Twitter, encore, un internaute a trouvé une justification plus tragique à la faiblesse de la mobilisation : « C’est simple. 95 % des grévistes sont des chômeurs. » « Voilà deux ans que je contribue à la grève », plaisante un autre. Le jour même, l’Institut brésilien de la géographie et de la statistique (IBGE) annonçait une nouvelle hausse du taux de chômage à 13,7 % de la population active, faisant grossir le nombre de Brésiliens sans emploi à 14 millions.

Bien que d’une ampleur moindre qu’escomptée, la paralysie du 28 avril n’en reste pas moins historique, un siècle après la première grève générale de 1917, et 21 ans après la dernière enregistrée dans le pays. Selon les forces syndicales, 40 millions de Brésiliens auraient participé au mouvement ce vendredi. Et les images de manifestants en colère réprimés à coup de bombes lacrymogènes, celles d’étudiants arrêtés, de confrontations dans le centre de Rio, de flamme et de fumée, marqueront les esprits. Comme ce cliché, pris deux jours plus tôt, d’un Indien tirant une flèche en direction du congrès de Brasília, jour du vote à la chambre des députés de la réforme du travail mais aussi d’une mobilisation des indigènes pour la démarcation de leurs terres.

« La grève générale montre que le peuple brésilien est vaillant et capable de résister à un autre coup d’Etat », a tweeté l’ancienne présidente de gauche, Dilma Rousseff. Une référence à sa propre destitution, survenue en 2016, qualifiée par ses soutiens de putsch parlementaire. « Le bilan est positif », conclut Joao Paulo du mouvement des travailleurs ruraux sans toit (MST), évoquant « une démonstration significative contre des réformes putschistes ». « Il s’agit d’une grève historique », insiste-t-il, certain que la mobilisation incitera les parlementaires à reculer au moment de devoir approuver les textes, déjà largement amendés. « Dans le cas contraire, nous convoquerons à nouveau une grève générale et cette fois ce sera pour une durée indéterminée », prévient-il.