Affiches officielles de Marine Le Pen et d'Emmanuel Macron pour la campagne du second tour de l'élection présidentielle de 2017. | Front National - En Marche !

Rien n’est laissé au hasard dans la communication politique. Les affiches de campagne de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron pour le second tour de l’élection présidentielle misent sur la forme. Aucun d’eux ne prend le risque de casser les codes, ni ne s’inscrit dans l’altérité. Ils posent seuls.

Séduire

Les affiches mettent d’abord en avant le physique des candidats. « Pour la première fois, les équipes de campagne assument véritablement le côté esthétique de leur stratégie », estime l’expert en stratégie de communication Florian Silnicki. La photo d’Emmanuel Macron, un plan serré sur fond uni, valorise son visage et sa jeunesse. L’objectif, selon lui : rendre le candidat aussi proche que possible, établir un lien émotionnel avec la personne qui regarde l’affiche, droit dans les yeux. « Mais je crois que la tentative de le rendre plus souriant a échoué, il adopte plutôt une posture de contrition », affirme M. Silnicki.

Jupe et petite veste, genou apparent, position légèrement penchée… Marine Le Pen, qui opte au contraire pour un plan large, mise sur sa féminité. « C’est la première fois dans une affiche politique pour un scrutin présidentiel, souligne l’historien de l’image André Gunthert. [La candidate du Parti socialiste, au deuxième tour de la présidentielle contre Nicolas Sarkozy en 2007] Ségolène Royal avait par exemple plutôt essayé de gommer cette féminité dans l’image, plus allégorique. » Ce parti pris original, selon l’enseignant-chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), montre sa volonté de jouer la différence et de mettre en avant un message positif, de modernité.

Affiche officielle pour la campagne de Marine Le Pen pour le second tour de l'élection présidentielle de 2017. | Front National

Apaiser

Loin de l’image dure et agressive qu’elle véhicule parfois, la candidate « adopte l’attitude de la femme française, telle qu’on l’imagine, élégante et séduisante », ajoute la sémiologue Marie Treps, auteure de Maudits mots : la fabrique des insultes racistes. L’affiche s’inscrit dans la continuité de son clip de campagne, qui la montre dans son intimité, et prolonge les références à son rôle de mère qui émaille ses discours. « C’est comme une photo de famille, prise à moitié assise sur un coin de table », souligne Mme Treps. Cette « Française parmi d’autres » gomme également son patronyme : « Le Pen » disparaît, comme toute référence au « Front national ».

Des candidats rassurants, souriants, apaisants… Les deux photographies sont extrêmement lissées. Pour André Gunthert, très stéréotypées, elles sont « assez pauvres sur le plan sémiotique » : « Ies équipes de campagne ont essayé d’effacer toutes les aspérités ». Même si les retouches sont habituelles sur les affiches de campagne, le résultat sur celle de Mme Le Pen n’est pas très heureux, selon Florian Silnicki. « L’utilisation d’un logiciel de retouche pour avantager la candidate est à ce point évidente qu’elle soulève un doute : veut-on tromper les électeurs ? », se demande l’expert.

Se présidentialiser

Deuxième message : les candidats sont présidentiables. Emmanuel Macron présente « un beau portrait classique, très contrasté, avec un éclairage clair-obscur », affirme Marie Treps. « Une photo de qualité, mais une affiche très paresseuse, juge quant à lui André Gunthert, qui présente peu de signaux. » Pour souligner sa stature présidentielle, Marine Le Pen se pose, elle, devant une bibliothèque. Cela semble être une référence aux photos officielles de chefs d’Etat français devant la bibliothèque de l’Elysée : Charles de Gaulle, Georges Pompidou, François Mitterrand et Nicolas Sarkozy.

« Mais avec cette interprétation des photos officielles, elle grille une étape », signale M. Gunthert. Autre paradoxe : la bibliothèque derrière la candidate du FN, désordonnée, évoque davantage l’intimité d’une demeure privée. « Elle reste ainsi une femme du peuple, avance Mme Treps. Marine Le Pen n’a d’ailleurs jamais mis en avant sa culture, seulement son amour du patrimoine et de l’histoire de France en général. » Elle veut peut-être aussi signaler en s’inscrivant dans cette pièce qu’elle est déjà au travail, sans pourtant se montrer dans une posture claire de travail, derrière un bureau.

Rassembler

Le bleu domine dans les deux affiches – une couleur consensuelle, qui symbolise, entre autres, le ciel. « Le bleu marine s’est imposé dans les vestiaires des hommes politiques, au-delà de son sens et de sa couleur politique traditionnellement plutôt à droite, confirme Florian Silnicki. C’est le choix de la sécurité. »

Affiche officielle pour la campagne d'Emmanuel Macron pour le second tour de l'élection présidentielle de 2017. | En Marche !

Le candidat d’En marche ! s’affiche sur un fond dégradé tirant du bleu ciel au bleu marine, de droite à gauche. « Il veut rassembler et propose un équilibre entre des forces contraires, deux aspects de la France placés derrière lui », interprète Marie Treps. Un message abstrait cohérent avec son slogan : « Ensemble, la France ! », avec un point d’exclamation qui évoque par ailleurs le nom de son mouvement. Celui-ci rappelle aussi les slogans de Jacques Chirac en 2002 et de Nicolas Sarkozy en 2007. La neutralité de l’affiche, dans la retenue, évoque certaines de ses interventions. Outre sa position centriste, le candidat a tiré les leçons de 2007 et 2012, en minimisant les risques de détournement. L’affiche de Nicolas Sarkozy sur fond de naufrage du Costa-Concordia avait fait le tour des réseaux sociaux.

Cliver

Marine Le Pen porte le bleu sur sa veste. Contrairement à son adversaire, elle insère aussi un symbole traditionnellement de gauche : la rose, emblème du PS, transformée en bleu. La candidate se démarque des codes traditionnels du FN, gommant le nom du parti et son patronyme. « Remarquez aussi la position des mains, inclusives, sur le bureau : c’était le pari de Bayrou en 2007 pour marquer le rejet du clivage droite-gauche », affirme Florian Silnicki. En même temps, à l’opposé du rassemblement prôné par Emmanuel Macron, elle impose un choix clivant, à travers son slogan, « Choisir la France ». « La France, c’est elle, analyse Marie Treps. Elle incarne le peuple de France sur son image, un peu comme la Marianne, symbole de la République. Dans ses discours, d’ailleurs, elle utilise le “je”, quand Macron dit “nous”. »

L’affiche de la candidate révélerait aussi une dimension anti-islam. Montrer une partie de sa cuisse serait un « message subliminal » adressé aux électeurs selon son équipe de campagne, citée par un journaliste de L’Express.