Accompagné de deux malabars au sourire crispé, Nasser Zefzafi débarque sans prévenir dans le fast-food du centre-ville d’Al-Hoceima où nous ont conduits les militants du Hirak chaabi, le mouvement de contestation populaire né après la mort du marchand de poissons Mouhcine Fikri à l’automne 2016, broyé par une benne à ordures. Il tire énergiquement une chaise et s’assoit en coin de table. Sa voix crépite, il parle par salves et ne mâche pas ses mots. « Le Makhzen peut promettre tout ce qu’il veut. Nous revendiquons notre dignité et nous ne lâcherons pas. »

La presse néerlandaise et espagnole l’a intronisé leader de la contestation du Rif. Car aux Pays-Bas et en Espagne, où réside une importante diaspora rifaine, il est très connu par l’intermédiaire de Facebook, où prolifèrent les profils à son nom. La plupart sont des faux. Pourtant, Nasser Zefzafi vit toujours à Al-Hoceima, la ville dont il est devenu le porte-parole, depuis la contestation.

« Le pouvoir nous prend pour des ânes »

Tout le long de l’interview, qui durera près de deux heures, il alterne développements historiques et petites phrases assassines. « Si le roi prétend être le commandeur des croyants, il ne peut pas asservir son peuple, le deuxième calife [Omar Ibn Al-Khattab] était un homme simple », lance-t-il ainsi, avant de s’en prendre aux « responsables envoyés de Rabat » qu’il trouve « soit incompétents soit racistes » et au « pouvoir qui nous prend pour des ânes ». Autant de saillies qui enchantent ses camarades.

L’admiration tient-elle à son caractère fougueux ou à son courage physique ? Nasser Zefzafi a été attaqué à l’arme blanche fin décembre 2016, et il se dérobe régulièrement aux intimidations policières. L’homme reste sur ses gardes, mais son meilleur bouclier reste sa popularité. Smartphones en main, ses partisans répercutent instantanément sur Facebook tous ses faits et gestes. Lui-même s’est fait connaître localement en publiant des vidéos sur YouTube, avant même la mort du jeune Mouhcine Fikri.

Sur son téléphone, Nasser Zefzafi fait défiler les centaines de menaces qu’il reçoit. Les insultes ont connu un pic juste après un match de football orageux entre le Wydad de Casablanca et le Chabab Rif Al-Hoceima, l’équipe locale. « Un coup monté », selon lui. Empêché d’entrer dans le stade ce jour-là, M. Zefzafi n’a pu qu’assister impuissant aux violences provoquées à la fin du match par les hooligans venus de Casablanca. « Quand on allait dénoncer des dégradations à l’officier de police, il nous répondait : Allez vous plaindre à Zefzafi !”», raconte Chakir, un militant.

A 39 ans, la figure médiatique du Hirak se voit en « simple Rifain d’origine modeste, qui souffre de la politique d’abandon de l’Etat ». Réparateur de téléphones et d’ordinateurs, il s’essaie à l’entrepreneuriat avec un ami. Mais sa boutique d’accessoires électroniques tourne court. Criblé de dettes, il met la clé sous la porte et doit retourner vivre chez ses parents ou dormir chez des amis. Si les pages Facebook à son nom se multiplient, c’est parce que des hackers s’en prennent régulièrement à son identité virtuelle. « On joue au chat et à la souris. Là, je viens de créer une nouvelle page », dit-il.

Intransigeance

Spontané, allure sportive dans son survêtement, Nasser Zefzafi est intarissable sur le combat des Rifains qu’il présente comme ininterrompu depuis l’époque coloniale : Mohamed Ben Abdelkrim Khattabi, Mohamed Ameziane sont ses références. Quand un autre militant l’interrompt, il écoute et le laisse finir, avant de poursuivre son propos. « Nasser est respecté, car il éveille les consciences des sceptiques. Son langage clair atteint les personnes les plus modestes », décrit Mortada, un militant pourtant critique du mouvement Hirak.

Attaché au tarifit (berbère rifain), sa langue maternelle, Zefzafi est à l’aise en arabe classique, qu’il ponctue de références religieuses. Pour Ali Belmezian, président de la section d’Al-Hoceima de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), le Hirak prêche par un discours moraliste. « Regardez la manifestation du 8 mars, se désole-t-il. Sous couvert de mettre en avant les femmes, c’était une marche encadrée par les hommes. » Ce militant gauchiste, passé par la case prison sous le règne de Hassan II, n’a pas de mots assez durs contre ce mouvement qu’il qualifie de « sectaire, tribal et passéiste » : « Zefzafi ne dirige pas le mouvement, qui est né de l’émotion après la mort de Fikri. »

En attendant, Nasser Zefzafi assume son intransigeance, en évoquant tous les sujets qui irritent. « Quand on nous accuse d’encourager la fitna [la division], je réponds : “Quelle est cette fitna ? Qu’on nous la montre ! Y a-t-il pire fitna que la fortune qui s’exhibe en Afrique, ou fuit en Suisse ou au Panama ?” » Evoque-t-il la fortune de Mohammed VI ? « Le roi n’est pas sacré. On lui doit le respect mais il peut et doit être critiqué. » Même quand un responsable du Conseil national des droits humains, une institution constitutionnelle, a voulu le rencontrer, M. Zefzafi a posé ses conditions. Depuis les événements d’octobre, certains ont même essayé de l’acheter. « Des inconnus sont venus toquer à ma porte et ont voulu me remettre un sac rempli de billets de banque. Je leur ai jeté au visage et je suis encore là ! »