L’opposant kényan Raila Odinga s’adressant à la foule réunie au parc Uhuru à Nairobi, le 27 avril 2017. | Khalil Senosi/AP

Une de plus ! Raila Odinga sera donc à nouveau le candidat de l’opposition à la présidentielle kényane, prévue le 8 août. Sa désignation a été annoncée en grande pompe, jeudi 27 avril, lors d’un meeting géant organisé au parc Uhuru de Nairobi.

Rien n’a été laissé au hasard. Le lieu d’abord, où a été proclamée il y a sept ans la Constitution du pays. Le dress code, ensuite, chaque leader de l’opposition arborant chemise et casquette blanche, symbole de paix et de réconciliation. La manière, enfin : l’identité de l’heureux vainqueur fut dévoilée devant des milliers de supporters déchaînés, le nom d’Odinga tiré d’une enveloppe blanche, façon cérémonie des Oscars.

Fortes personnalités

« C’est un grand honneur et je l’accepte », a immédiatement déclaré M. Odinga. A 72 ans, « Raila » débute sa quatrième campagne présidentielle. Vraisemblablement la dernière de sa très longue carrière politique : ancien premier ministre (2008-2013), il fut en effet déjà candidat malheureux en 1997, 2007 et 2013.

Cette année encore, il affrontera le chef de l’Etat sortant, Uhuru Kenyatta, lui-même déjà deux fois candidat et vainqueur du dernier scrutin. Un duel quasi dynastique entre deux noms qui structurent la vie politique kényane depuis l’indépendance : en 1964, Jomo Kenyatta, père de l’actuel chef de l’Etat, était intronisé premier président du pays et Oginga Odinga, père de « Raila », son premier vice-président. Les deux se déchireront au pouvoir, « Double O » devenant le premier opposant du « Mzee » (le vieux) Kenyatta.

Mais, malgré son nom prestigieux, la candidature de M. Odinga était loin d’aller de soi. Des semaines de négociations ont été nécessaires afin d’aboutir à un accord entre les leaders de l’opposition, regroupée au sein de la coalition Super Alliance Nationale (NASA). Raila Odinga, leader de la tribu Luo, deuxième plus importante après les Kikuyu menés par M. Kenyatta, a dû composer avec les influents Kalonzo Musyoka, chef des Kamba, ainsi que Musalia Mudavadi, porte-drapeau des Luhya. De fortes personnalités qui ne souhaitaient pas laisser passer leur tour.

Raila Odinga a dû mettre de l’eau dans son vin et promettre de n’être qu’un président honorifique, n’effectuant qu’un seul mandat et déléguant l’essentiel du pouvoir à M. Muzyoka, qui serait son vice-président, et M. Mudavadi, héritant d’un nébuleux ministère « chargé de la coordination du gouvernement »

Sous la bannière de « Raila », l’opposition peut-elle l’emporter face à une majorité unie et qui met en avant son bilan au pouvoir ? « Odinga est certes le plus populaire. Il unit ses supporters, et la puissante tribu Luo. Mais il cimente aussi toutes les autres tribus contre lui, décrypte Dismas Mokua, analyste politique à Tintari Insights. Chez les Kikuyu, il y a une véritable railaphobie. Rien que mentionner son nom leur donne des cauchemars et des maux d’estomac. »

« Kikuyu et Luo s’opposent depuis l’indépendance : difficile pour les premiers d’accepter de lâcher le pouvoir en faveur des seconds, poursuit M. Mokua. De plus, beaucoup se rappellent que Raila a fait ses études en l’Allemagne de l’Est, chez les communistes. Les Kikuyu, plutôt libéraux et capitalistes, pensent que, s’il arrive au pouvoir, il nationalisera leurs propriétés et deviendra un genre de Chavez ou de Castro kényan. »

« Il suffirait d’une étincelle »

Odinga, né en 1945, a en effet effectué des études à Leipzig, alors en RDA, et avait prénommé son fils Fidel (décédé en 2015), en hommage au « leader maximo » cubain. Mais celui qui se définit aujourd’hui comme « social démocrate » est difficile à décrypter : le personnage a fait fortune dans l’éthanol, profitant à fond d’une économie kényane ultra dérégulée.

Trois fois candidat malheureux, Odinga ne compte pas quadrupler. Le capitaine de la NASA a déjà menacé de prendre la rue avec ses partisans en cas de défaite ou de fraude et rejeté par avance tout recours en justice. « Je serai le Josué qui guidera les Kényans dans la traversée du Jourdain jusqu’à Canaan », a-t-il lancé à la foule, avec des accents mystiques.

Dix ans après les violences post-électorales de 2007, qui avaient fait 1 100 morts et un demi-million de déplacés, la communauté internationale craint de nouveaux affrontements. « On se prépare au scénario du pire, craint déjà un diplomate en poste à Nairobi. Pour lui, c’est la victoire ou la rue. Il a le sentiment que le pouvoir a été volé à lui et sa famille depuis l’indépendance. C’est un combat très personnel et explosif. Il peut vraiment mettre le pays à feu et à sang s’il continue comme ça. Il suffirait d’une étincelle. »