Que nous réserve l’avenir ? Depuis que les sociétés occidentales sont entrées dans un état permanent d’imprévisibilité, d’insécurité et d’instabilité, les quelques experts qui osent encore avancer des prédictions le font désormais avec une nouvelle humilité. L’accélération turbulente du rythme de l’histoire, qui a débuté avec la crise financière de 2008 et a pris depuis de nombreuses formes, culminant avec le double choc du Brexit et de l’élection de Donald Trump, nous a laissés avec la nausée. Alors que le système et les valeurs que l’on croyait acquis sont aujourd’hui contestés en Europe et en Amérique, les pays occidentaux sont confrontés à la perspective d’un avenir profondément incertain.

C’est un nouveau sentiment pour la plupart des Occidentaux. Comment vivre dans cet état d’inquiétude constante, de préoccupation permanente, de peur insidieuse ? Pour survivre dans ce tumulte, que le philosophe camerounais Achille Mbembe appelle « la normalisation d’un état social de guerre », nous devons renforcer notre système immunitaire. Et dans ce contexte, l’Afrique, un continent qui a connu son lot de chaos, est bien placée pour apporter des réponses à l’Occident.

Comment se remet-on d’un traumatisme tel que le génocide rwandais ou d’un choc violent comme la guerre civile ivoirienne ou la crise post-électorale kényane de 2008 ? Comment réapprendre à vivre ensemble pour se concentrer sur le futur ? Malgré la peine et la menace toujours présentes, ces trois pays ont survécu et leurs économies devraient croître de plus de 6 %, 7 % et 5 % respectivement en 2017.

Cette capacité qu’a l’Afrique de se relever, on peut la voir également à l’œuvre dans la façon qu’ont ses habitants de gérer les chocs du quotidien, comme les décès prématurés, les catastrophes naturelles ou la perte de leurs moyens de subsistance.

La résilience n’est pas un mot couramment utilisé en dehors des milieux humanitaires dans les deux douzaines de pays africains où j’ai travaillé. Les Nigérians, les Camerounais ou les Somaliens ne passent pas beaucoup de temps à réfléchir à la façon dont ils se ressaisissent après chaque nouvelle crise, ils passent simplement à l’action. Pourtant, la résilience est l’une des grandes forces de l’Afrique, et un atout qu’elle pourrait transmettre au monde. Plus précisément, voici cinq leçons que l’Occident pourrait apprendre de l’Afrique en ces temps difficiles.

1. L’autosuffisance par l’entreprenariat

Malgré l’engouement actuel des médias pour les start-up, des études récentes suggèrent que la génération Y (née entre 1980 et 1999) est la moins entrepreneuriale de l’histoire. Selon la Small Business Administration aux Etats-Unis, moins de 2 % des enfants de cette génération étaient entrepreneurs en 2014, contre 7,6 % de la génération X (née entre 1966 et 1976) et 8,3 % des baby-boomers (nés entre 1945 et 1975).

Pendant ce temps, en Afrique subsaharienne (avec l’exception notable de l’Afrique du Sud), le manque d’emplois traditionnels et l’absence de prestations sociales, combinés au dynamisme inhérent à une population jeune, signifie que chacun est, à son propre degré, un entrepreneur. Lorsque l’on vit sans filet, se créer ses propres opportunités est la seule option. Même les employés à plein-temps ont une ou deux affaires sur le côté, qu’il s’agisse d’une petite ferme familiale, de la gestion de quelques taxis, ou de l’importation de voitures ou de produits électroniques de Dubaï. En investissant dans un portefeuille diversifié qui leur apporte des revenus passifs, les Africains limitent leur exposition au risque. Certains en ont même fait fortune, comme le milliardaire nigérian Aliko Dangote, dont le Dangote Group est leader mondial dans l’agroalimentaire, le ciment et le fret.

2. Empathie et compassion : des valeurs africaines pour le monde

La valeur africaine la mieux connue est sans doute le concept d’« ubuntu », un terme bantou d’Afrique australe découvert en Occident dans les années 1990 à travers Nelson Mandela et Desmond Tutu. Ubuntu est un type d’humanisme africain, fondé sur l’idée que « je suis parce que nous sommes » : l’individu existe à travers sa communauté. Mais d’autres mots africains font référence à l’idée d’empathie. « Pole » est un terme swahili qui se traduit approximativement par « désolé », mais est en réalité une expression de sincère compassion qui peut être utilisée dans le contexte de la mort d’un être cher comme dans des situations plus prosaïques. Plus précisément, « pole » signifie « je ressens votre peine ».

Ces concepts valent la peine d’être étudiés à un moment où des voix se lèvent pour demander plus d’empathie sur nos lieux de travail et dans notre approche du défi profondément humain qu’est la crise des migrants. Sur ce sujet, la réalité, peu connue, est que l’Afrique a toujours porté la charge la plus lourde en ce qui concerne ses propres mouvements de population. Alors que l’Union européenne accueille actuellement 1,3 million de réfugiés, ils sont 4,4 millions à travers l’Afrique, où des pays comme la Tanzanie, la Zambie ou l’Ouganda ont reconnu que la solution la plus efficace était de permettre aux migrants de participer à l’économie locale en leur accordant la citoyenneté ou en leur donnant accès à la propriété.

L’empathie africaine ne doit pas être vue comme une expression simple et peut-être même naïve de la bonté de l’esprit humain, mais au contraire plutôt comme une stratégie pratique et pragmatique : ces démonstrations de compassion permettent la formation de solides communautés, qui se trouvent être la meilleure protection de l’individu contre le choc.

3. Investir dans l’environnement : du simple bon sens

Alors qu’aux Etats-Unis les climatosceptiques s’attellent au démantèlement de la réglementation environnementale pour préserver les intérêts des grandes entreprises, l’Afrique se retrouve au premier plan des effets dramatiques du réchauffement climatique. La progression du désert du Sahara vers le sud est l’une des causes fondamentales du conflit au Darfour et la sécheresse actuelle en Afrique de l’Est menace de famine plus de 6 millions de Somaliens. A l’échelle du continent, 52 % de la population est employée dans l’agriculture, et pour des pays comme le Kenya, la Tanzanie ou l’Afrique du Sud, où le tourisme est la principale source de devises, le patrimoine naturel est un atout clair dont la sauvegarde est prise au sérieux.

En effet, les pays africains prennent souvent l’initiative en faveur de la protection de l’environnement, qu’il s’agisse d’interdire l’utilisation de sacs en plastique comme au Rwanda ou de développer des systèmes d’énergie renouvelable. Le Kenya, par exemple, est l’un des principaux producteurs mondiaux de géothermie et son usine d’Olkaria est la plus grande installation géothermique à turbine unique au monde. Le même pays a également commencé à construire ce qui sera le plus grand parc éolien d’Afrique. A de nombreux niveaux en Afrique, investir dans l’environnement est simplement une question de bon sens économique.

4. Femmes de tête, femmes de pouvoir

Nous sommes en 2017 et les droits des femmes sont menacés dans le monde entier. Pendant ce temps, l’écrivaine nigériane et icône mondiale du féminisme, Chimamanda Ngozi Adichie, vient de publier son nouveau livre Dear Ijeawele, Or a Feminist Manifesto in Fifteen Suggestions (Un Manifeste féministe en quinze suggestions). Elle, qui se décrit comme une « joyeuse féministe africaine », est l’une des femmes de pouvoir les plus éminentes d’Afrique, mais elle est loin d’être la seule.

Selon le rapport 2016 de McKinsey sur les femmes au pouvoir, l’Afrique se situe au-dessus de la moyenne internationale en matière de représentation des femmes, tant dans les comités exécutifs des entreprises qu’au gouvernement. Bien entendu, il reste encore un très long chemin à parcourir pour atteindre l’égalité, mais les chiffres sont là. Dans le secteur privé, les femmes africaines détiennent 23 % des sièges de comité exécutif, contre 20 % de moyenne dans le monde. En politique, le nombre de femmes parlementaires a presque doublé en Afrique au cours des quinze dernières années pour atteindre 25 %, et leur présence à des postes de gouvernement a quintuplé en trente-cinq ans et se tient désormais à 22 %. A noter qu’à 64 %, le Rwanda a la plus forte proportion de femmes parlementaires dans le monde.

5. L’humour envers et contre tout

Par une fortuite coïncidence, c’est le comédien sud-africain star Trevor Noah qui s’est retrouvé à la tête aux Etats-Unis de l’émission satirique culte « The Daily Show », alors que le pays traverse l’une des périodes les plus sombres de son histoire. Noah, né d’un père suisse blanc et d’une mère xhosa noire sous le régime de l’apartheid qui avait décrété les unions interraciales illégales, est bien placé pour trouver de l’humour dans les situations les plus sinistres.

L’humour est indissociable de la vie quotidienne en Afrique, et souvent il offre la perspective nécessaire pour déjouer le désespoir. Les endorphines libérées par le rire engendrent aussi un fort lien affectif – ce qui nous ramène à l’idée de communauté. Le meilleur endroit où se réfugier au Kenya pendant une longue coupure d’électricité est sur Twitter, où les #KOT (Kényans sur Twitter) échangent des blagues sur KPLC, la Kenya Power and Lighting Company, également connue sous le nom de Kenyans Please Light Candles (Kényans veuillez allumer des bougies). Et quand j’ai lancé l’émission de satire politique « The XYZ Show », c’était en réponse directe à la crise post-électorale de 2008. En ridiculisant les politiciens corrompus du pays pendant huit ans et douze saisons, le programme a permis à ses téléspectateurs d’échapper à leur frustration et a contribué à nourrir une société civile active.

Aujourd’hui, il est clair que le système occidental du capitalisme démocratique n’était pas la fin de l’histoire après tout. Alors que nous nous efforçons de définir un nouveau modèle et une nouvelle vision pour nous porter vers l’avant, l’Afrique continue de réclamer que ses histoires soient entendues. Ce serait un bon moment pour commencer à l’écouter.

Marie Lora-Mungai, journaliste, entrepreneure, productrice de télévision et speaker, travaille depuis plus de dix ans à Nairobi pour mieux faire comprendre l’Afrique dans toute sa complexité. Elle est la fondatrice et PDG de Restless Global, une société de production spécialisée dans le développement d’histoires africaines à portée internationale. En 2017, elle a été nommée Young Global Leader par le Forum économique mondial.