Bob Woodward et Carl Bernstein, les héros du Watergate, le scandale qui a contraint Richard Nixon à la démission en 1974. | Cliff Owen / AP

L’ambiance était à la rigueur, cette année, au dîner des correspondants de presse à la Maison Blanche, samedi 29 avril, loin des paillettes et du tapis rouge habituels. Après des années de confusion des genres, mêlant les célébrités hollywoodiennes et l’establishment politico-médiatique de Washington, la soirée a été consacrée à un rappel solennel du principe de liberté de la presse, menacé par les constantes attaques de Donald Trump contre les médias.

« Nous ne sommes pas des fake news”. Nous ne sommes pas des organisations de presse en difficulté. Et nous ne sommes pas l’ennemi du peuple américain », a défendu Jeff Mason, le président de l’association des correspondants (WHCA), sous une longue ovation. Le journaliste, qui est le correspondant de Reuters, a précisé que, contrairement aux menaces des premiers jours, la presse n’avait pas été expulsée de la salle de briefing de la Maison Blanche, et qu’elle continuait à avoir accès à l’avion présidentiel Air Force One. Mais « nous ne pouvons pas ignorer le langage » qui dévalorise le travail des médias et met en danger la démocratie, a-t-il ajouté.

Donald Trump avait préféré fêter ses cent jours d’exercice avec ses partisans à Harrisburg, en Pennsylvanie. Il n’a pas pu s’empêcher d’ironiser sur les convives « coincés » à Washington, à un dîner qui s’annonçait « très très ennuyeux ». Ses fidèles avaient fait courir le bruit que la soirée n’avait pas fait le plein d’invités. « Ce soir est un peu différent, a concédé Jeff Mason. Mais les valeurs que nous célébrons n’ont pas changé. Nous célébrons la presse, pas la présidence. Et je suis heureux de signaler que le dîner est complet ».

Le 45e président des Etats-Unis a été le premier en trente-six ans à bouder le dîner annuel. Alors que l’association des correspondants (WHCA) qui organise l’événement depuis 1921 était encore en train de délibérer sur l’opportunité de l’inviter, compte tenu des amabilités qu’il lance quotidiennement à ses membres, la Maison Blanche a pris les devants en février et refusé d’y participer. Les conseillers de M. Trump avaient aussi décliné l’invitation, par « solidarité » avec leur chef injustement traité par les médias. Quelques heures avant, il s’était encore plaint dans un tweet que la presse n’ait pas saisi l’ampleur de ses réalisations en cent jours – « Le plus grand succès de toute l’histoire », selon lui.

« Suivez la piste de l’argent mais aussi celle des mensonges »

Le dîner se tenait comme chaque année au Hilton de Dupont Circle, à Washington. Les femmes étaient en robe longue, les hommes en nœud papillon ; mais l’atmosphère était à l’austérité. Moins de cocktails sponsorisés par les magazines, et plus du tout « d’after-parties » (même Vanity Fair avait annulé la sienne). Plutôt que George Clooney et Kim Kardashian, les médias avaient invité à leur table des étudiants en journalisme et des spécialistes du premier amendement. Un hommage a été rendu aux lycéens du Kansas qui ont fait « tomber » leur proviseure après avoir démontré par une enquête fouillée qu’elle avait menti sur ses diplômes.

Grande tradition du dîner : l’intervention humoristique du président. En l’absence de Donald Trump, la WHCA avait choisi Bob Woodward et Carl Bernstein, les héros du Watergate, le scandale qui a contraint Richard Nixon à la démission en 1974. Le premier, 74 ans, a suggéré poliment à Donald Trump de changer de registre : « Monsieur le président, les médias ne sont pas des fake news. Otons cela de la table à l’avenir ». A la presse, il a conseillé de persister avec « humilité » dans le travail de fourmi qu’est le journalisme d’investigation. « Nous avons besoin d’une couverture juste dans les faits et dans le ton. »

Le second, 73 ans, a donné quelques recettes à ses confrères, comme si l’expérience du Watergate n’était pas dénuée d’utilité dans le contexte actuel : « Suivez la piste de l’argent, certes. Mais suivez aussi celle des mensonges. Quand le mensonge se combine au secret, nous avons une bonne feuille de route devant nous ». Et encore : « Nixon essayait de présenter le comportement de la presse comme étant le problème. Plutôt que le comportement du président et de ses hommes ».

« Maintenant vous savez ce que c’est que d’appartenir à une minorité »

L’humoriste Hasan Minhaj, avec au premier plan l’ancien journaliste du « Washington Post » Bob Woodward (droite) et Steve Adler de Reuters (gauche), le 29 avril 2017. | JONATHAN ERNST / REUTERS

La meilleure défense du premier amendement est venue de l’humoriste choisi pour clore le dîner : Hasan Minhaj, un comédien musulman d’origine indienne. D’habitude, c’est une réponse au président. En l’absence de Donald Trump, l’association des correspondants avait demandé à l’acteur, qui officie sur le Daily Show (Comedy central) d’atténuer ses sarcasmes. Au nom de la liberté d’expression, il n’en a évidemment rien fait. « Le leader de notre pays n’est pas là, a-t-il constaté. C’est parce qu’il vit à Moscou. C’est un très long vol ».

Hasan Minhaj a été le seul à suggérer aux médias qu’ils ne sont pas sans responsabilité dans l’élection de Donald Trump, avec leur fascination pour les outrances du personnage – et pour l’audimat. Depuis cent jours, les chaînes s’épuisent à courir derrière l’actualité, avec des écrans découpés en de plus en plus d’images simultanées. C’est « tellement stressant, a-t-il ironisé. Je me suis mis à regarder [la série américaine sur la Maison Blanche] House of Cards pour me relaxer ».

Le comédien s’est félicité que la presse, blâmée publiquement par Donald Trump dès qu’un article ou une image lui déplaît, ait au moins fait une nouvelle expérience : « Maintenant vous savez ce que c’est que d’appartenir à une minorité ». Il a enfin remercié Bob Woodward et Carl Berstein « pour avoir inspiré la génération précédente de journalistes » et Donald Trump « pour inspirer la prochaine ».