Illustration : alé+alé

« Au début, je me disais, ça va être très dur. C’est un peu angoissant de se remettre dans les études. » A 48 ans, Christine Pintus, infirmière et formatrice au centre hospitalier de Carcassonne (Aude), s’est inscrite au master à distance en sciences de l’éducation de l’université Aix-Marseille. C’était en 2011. « Je voulais évoluer mais sans quitter mon travail, parce que cela me rassurait. Les universités étaient loin de chez moi et, avec mes trois enfants, il me fallait quelque chose de ­souple. Donc le master en ligne, c’était la solution. » Cette décision a été une révélation. « Cela a changé ma vie. Ensuite, j’ai continué en master recherche, et je ­termine mon doctorat. » Elle a quitté la fonction publique pour devenir cadre ­supérieure dans une association médico­sociale, et intervient dans diverses structures de formation.

Comme Christine Pintus, de plus en plus d’adultes sont séduits par la flexibilité des masters universitaires à distance. Ils rassemblent aujourd’hui 14 060 inscrits (pour 2015-2016), des effectifs en hausse de 3 % par an, d’après la Fédération interuniversitaire de l’enseignement à distance (FIED). Le nombre de ces cursus ne cesse de croître : la FIED en ­recense aujourd’hui 226 (quinze nouvelles créations en deux ans), aussi bien en sciences, en psychologie, en sociologie, qu’en langues ou en management.

Depuis trente ans

Leur public ? Essentiellement des adultes en quête d’une spécialisation, d’un complément de formation ou d’une ­reconversion. Certains s’inscrivent avec l’aval de leur employeur et bénéficient de financements ou de congés spécifiques.

D’autres s’engagent dans cette démarche à titre individuel, attirés par des prix relativement acces­sibles. Pour beaucoup, la formation à distance est l’unique ­manière d’étudier tout en conservant leur travail, leur lieu d’habitation ou leur mode de vie – certains suivent d’ailleurs ces masters depuis l’étranger.

Mais si ces masters à distance ont le vent en poupe, ils ne sont pourtant pas récents. Cela fait trente ans que les universités françaises en proposent. Au ­début, les échanges avaient lieu par courrier, assortis, par la suite, de quelques services sur Minitel. Aujourd’hui, tout passe par des plates-formes d’apprentissage en ­ligne, au travers desquelles les élèves reçoi­vent cours et documents. S’ajoutent à cela des vidéos et autres éléments multi­médias, des discussions sur les ­réseaux sociaux, des sessions de classe virtuelle… Des outils qui ont contribué au nouvel essor de ces ­formations.

Reste que cette reprise d’études à distance, à l’âge adulte, est un défi. L’une des difficultés est de maintenir sa motivation seul, sur la durée, sans bénéficier de l’émulation des pairs. « Mais beaucoup d’élèves se retrouvent sur les réseaux ­sociaux afin de construire une communauté », relève Jean-Marc Meunier, enseignant-chercheur en psychologie à Paris-VIII, et président de la FIED. Des sessions de « regroupement » entre élèves et enseignants, organisées dans la plupart des masters à distance une ou deux fois par an, aident à relancer la motivation.

Il faut également se replonger dans le ­« métier » d’étudiant, mais de manière abstraite. Pas toujours facile. Cyriaque Benoist, qui travaillait au service achats de Total, n’avait pas étudié depuis vingt-cinq ans quand il s’est lancé dans un ­master à distance en sociologie des religions, proposé par l’université Bordeaux-Montaigne. « Plus jeune, j’avais eu du mal avec les études, j’avais fait une école de commerce et n’avais aucune expérience de l’université. Au début, j’avais peur de ne pas réussir à mémoriser des tas de choses, à réviser pour un partiel… Puis, j’ai vu que j’en étais capable, et je me suis pris au jeu. L’enseignement était de haut niveau, c’était très stimulant. »« On donne beaucoup de choses à lire, des exercices, des tâches à réaliser. Les élèves ont parfois l’impression qu’on leur en demande plus que s’ils étudiaient en présentiel, et c’est parfois vrai ! », reconnaît Jean-Marc Meunier.

Il faut surtout trouver du temps pour étudier en plus de son travail et de sa vie familiale, réussir à installer cette reprise d’études dans son quotidien. « Pendant mon année de master, je me couchais à ­minuit, et je me levais plus tôt que mes ­enfants pour étudier une heure avant ­d’aller travailler. Il faut beaucoup d’autonomie », estime Françoise Desrues, qui a décroché un master en ligne, parallèlement à son emploi administratif à l’université Aix-Marseille. « Il faut s’aménager des plages d’études, sans se dire qu’on va en même temps préparer à manger et faire une machine, accepter de dire à sa famille qu’on n’est pas disponible », ­résume Laurence Martel. A 32 ans, alors qu’elle était enseignante dans un centre de formation d’apprentis, elle a repris des ­études de psychologie à distance à Paris-VIII, jusqu’à devenir psychologue. « Il faut vraiment en discuter en amont avec son partenaire, parce que cela peut fragiliser un couple. J’ai, par exemple, étalé mon master 1 sur deux ans, sinon, c’était difficilement gérable. »

Mais ceux que nous avons interrogés ne regrettent pas une seconde cet investissement. Voire n’ont jamais pu s’arrêter. Après son master en sociologie des religions, Cyriaque Benoist a poursuivi avec un mastère spécialisé à HEC, puis un autre à l’Inseec, afin de se réorienter dans le secteur social. Il est aujourd’hui directeur d’une maison de retraite, où il est amené à traiter, notamment, de pro­blé­­­ma­­tiques d’ordre religieux. ­L’année prochaine, il aimerait suivre un DU en gériatrie. Et il vient de s’inscrire à un MOOC sur la maladie d’Alzheimer. Il le reconnaît volontiers : « J’ai attrapé le ­virus du plaisir d’apprendre. »