La visite se voulait symbolique d’une candidate affirmant défendre une « véritable écologie ». En se rendant, dimanche 30 avril, devant l’usine Alteo à Gardanne (Bouches-du-Rhône), responsable de rejets de boues rouges dans les eaux méditerranéennes, notamment du Parc national des Calanques, Marine Le Pen est venue, dit-elle, « mettre en avant les problèmes environnementaux et sanitaires et les relier au choix du modèle économique ».

Ce déplacement rapide suffira-t-il à verdir l’image de la candidate du Front national qui consacre une petite dizaine de propositions aux questions d’environnement et d’énergie, parmi ses 144 engagements présidentiels ?

A quelques jours du second tour de la présidentielle qui opposera Emmanuel Macron à Marine Le Pen, dimanche 7 mai, Le Monde décrypte en détail leurs propositions en matière d’écologie. Après celles du candidat d’En marche !, voici celles de Mme Le Pen.

Sous le sceau de la « priorité nationale »

La profession de foi envoyée aux électeurs à la veille du premier tour, au chapitre de la « France durable », affirmait la volonté de « préserver l’environnement, rompre avec le modèle économique fondé sur la mondialisation sauvage des échanges et le dumping social, sanitaire et environnemental : la véritable écologie consiste à produire et consommer au plus près et retraiter sur place ». Ce concept était déjà développé dans le programme pour l’élection présidentielle de 2012. La « priorité nationale » et le repli à l’intérieur des frontières servent, comme dans d’autres domaines, de colonne vertébrale au programme environnemental de la candidate.

Président du collectif Nouvelle Ecologie, fondé en 2014 et qui revendique seize groupes locaux, Philippe Murer, attaché parlementaire de Marine Le Pen et ancien proche de l’économiste Jacques Sapir, a inspiré le programme sur l’ensemble des thèmes environnementaux. A l’exception des questions liées aux animaux qui relèvent, elles, du travail fait par un autre collectif, « Bellaud-Argos pour la protection animale en France », créé en 2016.

Parfois contradictoires, comme la volonté affichée de développer « les filières françaises des énergies renouvelables » tout en décrétant un « moratoire immédiat sur l’éolien », les propositions du Front national laissent une impression de flou, de puzzle avec des initiatives ponctuelles, comme l’interdiction de l’exploitation des gaz de schiste ou des OGM, la lutte contre la précarité énergétique ou encore la défense de la cause animale, érigée comme « priorité nationale ».

Par ailleurs, les déclarations d’intention de la candidate se heurtent à la réalité des votes des députés frontistes, que ce soit au Parlement européen ou à l’Assemblée nationale, quand les deux élus, Marion Maréchal-Le Pen (Vaucluse) et Gilbert Collard (Gard) ont voté, en mars 2015, contre le projet de loi relative à la biodiversité, en soutien aux chasseurs, ou encore se sont abstenus lors du vote de la loi de transition énergétique en juillet 2015.

Restructurer les filières d’élevage

Dans le cadre de sa volonté de faire primer la « priorité nationale », Marine Le Pen développe la lutte contre la « concurrence déloyale » et revendique l’interdiction de l’importation des produits agricoles et alimentaires qui ne respectent pas les normes de production françaises, « en matière de sécurité sanitaire, de bien-être animal et d’environnement ».

Ce dernier argument est destiné à séduire l’électorat des agriculteurs, pour lesquels elle dit aussi vouloir « stopper l’explosion des normes administratives »

Marine Le Pen affiche son refus des fermes usines, « du type ferme des mille vaches », et défend le « modèle français d’exploitations familiales ».

Dans une interview donnée au collectif Bellaud-Argos, la candidate précise :

« Je veux privilégier les circuits courts afin que les animaux naissent, vivent et soient abattus sans être transportés sur des milliers de kilomètres comme c’est le cas aujourd’hui. Ceci nécessite de restructurer les filières et puis aussi d’interdire l’importation de produits ne respectant pas nos normes. »

Le collectif Nouvelle Ecologie indique que « les produits de l’élevage paysan auront une TVA à 0 % quand l’élevage ultra-industriel aura une TVA à 20 % ». Il propose que les cantines publiques se fournissent presque exclusivement en produits agricoles français dont une part importante issus de l’agriculture biologique. Sans autre précision.

Souci proclamé de la « cause animale »

S’agissant du « bien-être animal », Marine Le Pen insiste sur l’interdiction « de l’abattage sans étourdissement préalable ». Dans le collimateur, les abattages rituels halal et casher, pour lesquels l’animal doit être théoriquement conscient. Et le collectif Bellaud-Argos réclame « la fin des dérogations religieuses ».

Ce souci revendiqué de la cause animale s’arrête néanmoins aux portes du Parlement européen. Dans une tribune publiée sur le site de Libération, le 12 avril, l’eurodéputé écologiste et vice-président de l’intergroupe sur le bien-être animal au Parlement européen, Pascal Durand rappelle que les députés européens du Front national ont voté, en décembre 2014, contre l’adhésion de l’Union européenne à la convention Cites, interdisant le commerce des espèces menacées d’extinction – 60 députés votant contre, et 641 pour. Ou encore, qu’en novembre 2015, ils ont voté contre une résolution demandant l’interdiction de « l’utilisation traditionnelle ou culturelle d’animaux qui s’accompagne de mauvais traitements ». La corrida était alors clairement visée.

Gauthier Bouchet, secrétaire général adjoint de Nouvelle Ecologie et élu municipal à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), n’y voit pas de contradiction et, revendiquant un « patriotisme vert », il affirme que « la France ne peut pas se réfugier sous le parapluie européen pour faire de l’écologie ».

Contre la COP21

Ce nationalisme s’applique aussi aux questions climatiques, plutôt absentes du programme présidentiel. Le Front national a toujours affirmé sa réprobation de l’accord de Paris, issu de la COP21 de l’hiver 2015. Le mouvement de Mme Le Pen avait même prévu d’organiser une « contre-COP » en novembre 2015, initiative annulée à la suite des attentats de Paris.

Lors de la ratification de ce traité par l’Assemblée nationale, la députée Marion Maréchal-Le Pen s’est abstenue. Elle dénonçait un texte qui « épargnait les pétromonarchies » et l’absence de prise en compte des questions démographiques, et prônait « face aux grandes messes internationales, le retour aux souverainetés ».

L’éolien jugé « épouvantable et cher »

La transition énergétique est déclinée au niveau national. Le premier enjeu est de « maintenir, moderniser et sécuriser la filière nucléaire française », condition de l’indépendance énergétique de la France.

Alors qu’en 2012, Marine Le Pen reconnaissait les dangers du nucléaire et confiait qu’il faudrait en sortir à terme, plus aucune allusion n’est faite à cet objectif. La fermeture de la centrale alsacienne de Fessenheim ne sera pas opérée.

La montée en puissance des énergies renouvelables, « solaire, biogaz, bois… », est avancée, mais sans objectif précis. Mme Le Pen annonce un « moratoire immédiat sur l’éolien ». La candidate juge cette source d’énergie « épouvantable et chère », évoque « une vraie pollution visuelle », soupçonnant même, sur BFM-TV - RMC le 23 mars, des « conséquences sur la santé des habitants qui vivent autour ».

Eric Richermoz, conseiller régional FN en Picardie et secrétaire général du collectif Nouvelle Ecologie, précise qu’« il s’agit d’une question de démocratie locale, on ne consulte jamais les populations locales sur un développement massif de l’éolien ». Ce collectif revendique la réduction de 50 % en vingt ans de la consommation d’énergies fossiles.

Opposition à l’« écologie punitive »

La question du diesel, classé par l’Organisation mondiale de la santé comme cancérogène certain et véritable défi de santé publique, n’est pas évoquée directement dans le programme de la candidate du FN. Mais celle-ci, opposée à une « écologie punitive », s’est déclarée contre la taxation du diesel, « car ce sont les classes modestes qui en seront directement les victimes ».

« Il y a plus de problématiques de pollution liées à l’utilisation du charbon par l’Allemagne et aux particules qui arrivent emmenées par les vents, notamment principalement d’Allemagne, que de la pollution automobile », avançait (hâtivement) Mme Le Pen, sur RTL le 8 mars. Le Front national s’est ainsi opposé au projet de piétonnisation des voies sur berge à Paris.

Interdiction du gaz de schiste au nom du principe de précaution

Particularité du programme : un soutien massif au développement de la filière de l’hydrogène. « L’exemple d’Air liquide nous montre que cette énergie, renouvelable, est stable, que l’on peut développer les piles à combustible pour équiper les voitures plutôt que l’essence et que, développés à un niveau massif, les coûts de production ne seraient pas plus chers », insiste Philippe Murer.

La candidate s’engage au maintien de l’interdiction de l’exploitation des gaz de schiste, « tant que les conditions satisfaisantes en matière d’environnement, de sécurité et de santé ne seront pas réunies ».

Ce principe de précaution est aussi appliqué aux OGM.

Notre-Dame-des-Landes se fera

Au chapitre énergétique encore, engagement est pris, sans chiffrage, de « faire de l’isolation de l’habitat une priorité budgétaire du quinquennat, parce que l’énergie la moins chère est celle que l’on ne consomme pas ».

Lors de la convention écologique de décembre 2016, Marine Le Pen avait évoqué la possibilité d’un prêt à taux zéro de la Banque de France pour ces travaux de rénovation énergétique.

Enfin, sur la question emblématique du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, dans la région nantaise, alors que le Front national s’est exprimé contre – mais pour l’évacuation de la ZAD –, sa position a changé, explique Philippe Murer :

« On reste contre, mais avec le résultat du scrutin local qui donne un vote majoritaire en sa faveur, le respect de la légitimité du vote nous obligera à le faire. »

« Pas de vision globale »

« L’écologie patriote » constitue bien le fil conducteur du programme de Marine Le Pen. Celui-ci avance certaines propositions susceptibles de séduire une clientèle électorale inquiète de la mondialisation, mais reste imprécis quant aux règles environnementales qui s’appliqueront sur le sol national.

« Ce programme est peu pertinent, les contradictions sont nombreuses et les mesures sont ponctuelles. Il ne propose pas de vision globale. Et l’environnement ne s’arrête pas aux frontières », juge Michel Dubromel, président de France Nature Environnement.