« Réserver prioritairement aux Français l’attribution du logement social, sans effet rétroactif, et le mobiliser vers les publics qui en ont le plus besoin » figure au 142rang des 144 « engagements présidentiels » de la candidate d’extrême droite, Marine Le Pen. Interrogée lundi 13 mars sur Franceinfo, elle affirmait : « Le logement social est attribué massivement à ceux qui arrivent sur notre territoire (…). Le problème, c’est qu’il y a 1,5 million de Français qui attendent un logement social. »

Les statistiques apportent un démenti net à ces propos : au plan national, selon l’Union sociale pour l’habitat, organisme fédérateur des bailleurs sociaux qui détiennent, tous ensemble, 4,6 millions de logements, seuls 12 % sont occupés par des familles de nationalité étrangère, une proportion stable depuis longtemps. Selon le ministère du logement, sur 341 571 logements sociaux attribués en 2015 (non comprises les mutations internes de locataires déjà dans le parc social), 13 116 l’étaient à des Européens, soit 3,8 %, et 44 657 à des étrangers hors Union européenne (13 %).

Confrontée à cette réalité, Mme Le Pen affirmait que « les chiffres ne sont pas les mêmes dans les quartiers ou les villes où précisément la demande de logement social est plus importante ». Or, à Paris aussi, sur les 8 049 logements attribués, en 2015, 24 % l’étaient à des étrangers hors UE, et 3,8 % à des ressortissants de l’Union européenne, des proportions bien loin d’être massives, comme les qualifie Mme Le Pen, et qui sont sensiblement les mêmes dans toutes les grandes villes, Montpellier, Nice, Lyon, Grenoble, voire moindres à Nantes (17,5 % et 2,82 %) ou Lille.

« Mesure xénophobe »

« Même édulcorée, la priorité nationale”, mesure xénophobe phare du FN, s’appuie sur un postulat délibérément faux en affirmant que les étrangers sont logés plus rapidement et sont majoritaires en HLM, or, ils attendent deux fois plus longtemps », réaffirme, dans un communiqué daté du 1er mai, Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de l’association Droit au logement (DAL), citant une étude de l’Insee publiée en 2013 par les économistes Liliane Bonnal, Rachid Boumahdi et Pascal Favard. Celle-ci démontre que, entre 2001 et 2006, 51,2 % des demandeurs européens ont obtenu un logement social, contre 27 % des non-Européens, et que 12 % des Européens ont dû patienter plus de trois ans contre 32 % de non-Européens.

Les bailleurs sociaux sont outrés de cet engagement 142 de la candidate, jugé « xénophobe, contraire à nos valeurs, illégal voire inconstitutionnel, puisque l’article 1 de la Constitution assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion », juge Alain Cacheux, président de la Fédération des offices publics de l’habitat, une des deux familles du mouvement HLM. « Entre deux catégories de citoyens, des différenciations sont certes possibles, précise M. Cacheux, mais à condition qu’elles soient justifiées et proportionnées au but poursuivi. »

Décision discriminatoire

Les seuls critères pour poser une demande de logement social sont le niveau des ressources, qui doit être conforme à un barème réglementaire, et la régularité du séjour en France. Aucun sans-papier n’est logé en HLM, et les demandeurs d’asile qui n’ont pas encore obtenu ce statut ne peuvent non plus y accéder. Il est donc impossible que les logements sociaux soient « attribués massivement à ceux qui arrivent sur notre territoire » tant qu’ils ne répondent pas à ces critères. C’est d’ailleurs ce qui explique la saturation des centres d’hébergement ou des hôtels sociaux.

Quant à refuser un logement social en raison de la nationalité du demandeur, c’est une décision discriminatoire, pénalement répréhensible. La hiérarchie des priorités dans l’attribution d’un tel logement est encadrée par la loi : y ont d’abord accès les personnes en situation de handicap, puis les personnes mal logées, celles qui sont hébergées, les victimes de violences conjugales, les sans-logis, les personnes expulsées sans solution de relogement et, devant tout le monde, devraient passer les bénéficiaires du droit au logement opposable (Dalo), ultra-prioritaires depuis 2007. Cette loi permet aux personnes mal logées, ou ayant attendu en vain un logement social pendant un délai anormalement long, de faire valoir leur droit à un logement décent ou à un hébergement.

La préférence nationale qu’invoque Mme Le Pen est, en outre, contraire au droit européen, comme l’a rappelé, dès 2002, le tribunal de première instance de Milan (Italie) qui, dans une décision des 20 et 21 mars, condamnait une pratique jugée xénophobe, inspirée par la Ligue du Nord, qui consistait à accorder des points de priorité aux ressortissants italiens.