La circulation des armes légères en Libye, puissant facteur de l’instabilité dans laquelle le pays est plongé depuis 2011, a connu un essor ces dernières années grâce au développement d’un véritable marché sur Internet. Telle est la principale conclusion d’un rapport publié, mercredi 3 mai à Genève par Small Arms Survey, une organisation dont le mandat est d’étudier le rôle des armes légères dans les zones de conflit.

Lien étroits avec les milices

Explorant un aspect peu connu de la crise libyenne, les auteurs du rapport Web Trafficking. Analysing the Online Trade of Small Arms and Light Weapons in Libya ont suivi entre septembre 2014 et novembre 2015 six groupes de discussion sur les réseaux sociaux (fermés ou secrets à l’exception d’un) où se négociaient l’achat et la vente d’armes. Ils ont identifié sur ce marché illicite des armes légères et de petit calibre provenant de vingt-six pays producteurs. Si « la plupart » des transactions, notent les auteurs du rapport, ont « apparemment été opérées » à des fins sportives, de loisir, d’autodéfense ou de profits commerciaux, « des participants (…) ont des liens étroits avec des milices libyennes ». Or ce type de connexions sur un marché en expansion devient hautement problématique à l’heure où les tentatives de solution politique à la crise libyenne butent sur un paysage militarisé difficilement contrôlable.

Le développement de ce marché des armes légères en Libye est une conséquence de la révolution ayant conduit à l’automne 2011 à la chute du régime de Mouammar Kadhafi. « La révolution libyenne de 2011 a massivement accru la prolifération illicite des armes et munitions », relève le rapport de Small Arms Survey. Les stocks considérables d’armes accumulées sous Kadhafi se sont en effet éparpillés entre les mains de différents groupes armés. Dès février 2011, alors que l’insurrection était à ses prémisses, le Conseil de sécurité des Nations unies avait décrété un embargo sur les ventes d’armes en Libye. Le dispositif a ensuite été assoupli lorsque les nouvelles autorités issues de la révolution, soutenues par la communauté internationale, ont débuté le processus de transition post-Kadhafi.

Embargo maintes fois violé

Puis il a été durci après l’éclatement, à l’été 2014, de la guerre civile entre la coalition – Aube de la Libye – à inclination islamiste basée à Tripoli (ouest), appuyée par le Qatar et la Turquie, et le camp de Tobrouk (est) commandé par le général Khalifa Haftar avec le soutien actif de l’Egypte et des Emirats arabes unis. Cet embargo a toutefois été maintes fois violé, ainsi qu’ont pu l’attester des rapports d’experts des Nations unies. L’arrivée ininterrompue de nouvelles armes de l’étranger a donc enrichi les arsenaux déjà disponibles en Libye.

Le rapport de Small Arms Survey jette un éclairage inédit sur les modalités actuelles de circulation de ces armes. « Différents réseaux sociaux et plates-formes de vente en ligne sont utilisés pour faciliter le marché des armes en Libye », relève le rapport. Parmi les exemples cités figure celui d’un étudiant ingénieur de Tripoli qui reconnaît que « nombre de ses amis étudiants sont impliqués dans ce marché illicite ». Le rapport précise qu’« un nombre élevé de vendeurs postent régulièrement [leurs offres], suggérant ainsi qu’ils n’interviennent pas seulement à des fins personnelles ou de loisir ». En d’autres termes, ils seraient liés à de véritables réseaux, criminels ou politico-militaires. Les fusils d’assaut de type Kalachnikov et les armes de poing font l’objet d’une grande partie de ces transactions, ajoute le rapport. Autant d’éléments qui affinent la connaissance d’une dimension jusque-là peu documentée de l’imbroglio libyen tout en laissant perplexe sur les moyens que la communauté internationale peut mobiliser pour endiguer la dérive.