En images. Marine Le Pen copie un discours de François Fillon
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« Normalement aucune “plume” ne fait cette erreur-là. » Elle-même ancienne auteure de discours pour Nicolas Sarkozy à l’Elysée, Marie de Gandt a été sidérée en entendant Marine Le Pen reprendre, lors de son meeting à Villepinte, lundi 1er mai, des passages entiers du discours prononcé par François Fillon deux semaines plus tôt.

Pour le Front national, pas question pour autant de parler de plagiat ; le parti a défendu l’idée d’un « clin d’œil assumé à un bref passage touchant d’un discours sur la France, d’une candidate de rassemblement qui montre qu’elle n’est pas sectaire ».

Une fois n’est pas coutume, l’auteur plagié, lui, exulte. Ancien eurodéputé souverainiste (1999-2009) et candidat FN aux municipales de 2014 à Paris, Paul-Marie Coûteaux plaide depuis des années auprès de Marine Le Pen pour un rapprochement avec la droite. Son ouvrage paru en 1997, L’Europe vers la guerre (Ed. Michalon), a servi de trame au discours de François Fillon, qu’il a soutenu pendant la campagne présidentielle.

Contacté par Le Monde, M. Coûteaux reconnaît des emprunts de la candidate du FN à ce livre mais assure ne pas avoir été en contact avec Mme Le Pen récemment, ni avec Damien Philippot, une des plumes habituelles de la candidate. Quoi qu’il en soit, il espère que ce « hasard providentiel » favorisera un report des voix fillonistes sur le parti d’extrême droite.

« Il peut y avoir des gaffes inspirées », glisse-t-il avec malice. Qu’importe que François Fillon ait appelé à faire barrage au FN au second tour ; pour lui, « cette affaire est le symbole de la convergence entre la droite filloniste et le FN ».

« Cela alimente la confusion des programmes »

Pour les hommes et femmes de l’ombre qui écrivent les discours des personnalités politiques, un plagiat équivaudrait, ni plus ni moins, à un « suicide », selon l’un d’eux. « Normalement on ne survit pas à ça », enchérit Harold Huwart, ancienne plume de Jean-Marc Ayrault lorsqu’il était à Matignon (2012-2014). Cet agrégé d’histoire, passé par Normale Sup et l’ENA, est formel :

« C’est une faute grave, et ce qu’il y a de pire en politique, car cela alimente la confusion des programmes, et montre l’absence d’identité du projet défendu. C’est la négation même de ce qu’est une candidature. »

Marie de Gandt, qui a raconté son expérience auprès de l’ancien président dans son livre Sous la plume (Robert Laffont), n’est pas moins sévère :

« Pour un candidat, cela me paraît inédit. C’est une faute professionnelle, car cela présente l’homme politique comme le perroquet de ses conseillers. Cela témoigne aussi de l’amateurisme de l’entourage de Marine Le Pen et de son cynisme. On est dans le grand supermarché de la parole. »

Pour Mehdi Ouraoui, l’une des plumes de Benoît Hamon pendant la campagne présidentielle, cette affaire est justement révélatrice :

« Cela dit quelque chose du glissement sémantique et idéologique de la droite. Mais pour elle, ce copié-collé est un hommage un peu embarrassant… »

Sollicitée par Le Monde, la grande plume de François Fillon, Igor Mitrofanoff, a refusé de commenter l’affaire, en répondant par un message écrit :

« J’ai toujours eu pour principe que les plumes devaient rester dans l’ombre et, par ailleurs, je prends un peu de recul avec l’actualité. »

« Qu’on le veuille ou non, on a un rôle politique »

Le fait d’avoir un discours identique pour deux personnalités politiques, dont l’une dit combattre l’autre, n’est pas une nouveauté pour les plumes du FN. Bertrand Dutheil de la Rochère est passé en 2011 au service de Marine Le Pen après de longues années auprès de Jean-Pierre Chevènement :

« J’ai souvent écrit la même chose pour les deux, confie-t-il. Seul le style différait, plus populaire et avec des phrases courtes pour elle, plus intellectuel et recherché pour lui. »

Personne n’a jamais remarqué la ruse.

Tenue à la discrétion, la plume sait parfois se jouer de celui qu’elle sert. Marie de Gandt, de sensibilité de gauche, en a fait l’expérience auprès de Nicolas Sarkozy en 2012, lorsqu’elle continuait d’écrire ses discours de président tandis qu’elle avait refusé de le faire pour le candidat :

« Je me suis amusée à lui écrire des contre-discours. Je lui faisais prononcer des paroles lyriques sur l’apport des immigrés en France, alors qu’au même moment, en tant que candidat, il disait tout autre chose. Moi, j’étais fière de voir mon président continuer à avoir un discours républicain alors qu’au même moment, j’étais en désaccord avec le candidat. »

Le pouvoir des plumes se niche dans le choix des mots, jamais anodin. Si la fonction est parfois jugée ingrate, « qu’on le veuille ou non, on a un rôle politique, selon que l’on utilise le terme “nation” ou “patrie” », affirme Marie de Gandt. Elle s’est d’ailleurs toujours défendue d’évoquer, dans un discours, « l’identité nationale » chère à l’ancien président, jugeant le terme « mensonger et malfaisant » :

« Pour moi, c’était une erreur idéologique. C’était LE point litigieux dans mon travail avec Nicolas Sarkozy, avec la déchéance de nationalité. »

« Les idées qu’on écrit ne sont jamais les nôtres »

Ces « normaliens sachant écrire », selon la définition de Pompidou, assurent qu’ils n’ont pas besoin de partager l’idéologie du politicien pour écrire ses discours. « Une plume s’adapte au candidat, ou elle change de métier », assène Bertrand Dutheil de la Rochère. Pas d’états d’âme, ou le moins possible.

Radical de gauche et candidat malheureux PRG-PS-EELV aux législatives de 2012, Harold Huwart a lui aussi mis ses opinions politiques de côté lorsqu’il travaillait pour Jean-Marc Ayrault :

« Si on travaille comme plume par idéologie, c’est souvent une source de douleur et de frustration, parce que les idées qu’on écrit ne sont jamais les nôtres. Beaucoup de plumes souffrent de cela.
On doit faire des discours tous les jours sur tous les sujets. Pour endurer avec une telle intensité la parole de l’autre, le seul vrai lien qui tient, c’est celui de l’attachement à un homme, dans un cadre de valeurs communes ».

Ceux qui rêvent de servir un politicien qui partage leurs idées sont condamnés à « claquer la porte », assure Harold Huwart, aujourd’hui administrateur civil à Bercy et vice-président de la région Eure-et-Loir.

De cela, Mehdi Ouraoui n’a pas eu à souffrir. Il partageait avec Benoît Hamon la « volonté d’une exigence républicaine dans le discours, en parlant à l’intelligence et la raison des citoyens, là où tout le monde parle avec les tripes et la colère ». Les plumes sont bien placées pour savoir que les discours politiques racontent l’époque. Malgré la défaite du candidat socialiste, éliminé au premier tour avec un score historiquement bas (6,36 %), ce normalien, aujourd’hui au conseil national du PS, dit n’avoir « aucun regret ».

Si le discours copié par Marine Le Pen sur François Fillon ne contenait pas les formules chocs qui caractérisent la langue frontiste, il n’en est pas moins « périlleux », estime Marie de Gandt :

« Comme les éléments de langage, cette répétition témoigne d’un formatage insupportable. »

Au risque de nourrir « la lassitude et le désintérêt des citoyens pour la politique ».