L’Algérien Abderrazak Makri, le leader du parti islamiste Mouvement pour la société et la paix, en janvier 2017. | AFP

Ils se sont donné rendez-vous dans un café du quartier Meissonier, dans le centre d’Alger. Trois affiches d’un leader islamiste ont été collées sur la façade. Les militants arrivent les uns après les autres, en retard. « Il y a beaucoup d’embouteillages dans ce quartier », soupire Ali Kouider, 49 ans. Depuis le 9 avril, il organise plusieurs déplacements par jour, le temps de la campagne électorale algérienne pour les législatives du 4 mai, qui renouvelleront l’Assemblée aujourd’hui dominée par le Front de libération nationale (FLN, ex-parti unique) et son allié du Rassemblement national démocratique (RND).

Pour cette élection, le Mouvement pour la société et la paix (MSP), parti islamiste dirigé par Abderrazak Makri, a fusionné avec le Front du changement, autre formation islamiste emmenée par Abdelmadjid Menasra. Le MSP avait obtenu 47 sièges de députés en 2012, dans le cadre de l’Alliance de l’Algérie verte – un groupe de partis islamistes – et espère faire mieux cette fois, avec un rassemblement différent. Comme les autres partis islamistes – qui totalisent 60 sièges à l’Assemblée –, ils espèrent tirer leur épingle du jeu dans un scrutin plombé par la situation économique et sociale, les absences répétées du président Bouteflika et le désintérêt des électeurs.

« S’accrocher jusqu’au jour où… »

Costume noir, petite moustache, Ahmed Bourmad est deuxième sur la liste du parti à Alger. Il milite au sein du MSP depuis la création de ce parti, au début des années 1990, qu’il a du mal à qualifier d’« islamiste » : « Ce que nous voulons, c’est moraliser l’acte politique, mettre l’intérêt général en premier. Mais nous ne sommes pas des imams. »

Abdelmadjid Menasra entre enfin dans le café, suivi par plusieurs personnes qui le filment, téléphone à la main. « Tout est retransmis en direct sur la page Facebook du parti », explique un militant. Le top départ est donné pour une journée de tractage. Le bar se vide sous le regard un peu étonné de trois hommes âgés qui, assis au fond de la salle, ont assisté à toute la scène. « Ils disent être d’une tendance politique religieuse. Mais est-ce qu’il ne faudrait pas dissocier le politique et la religion ? », interroge Moussa, un retraité de 65 ans. « Ils sont tous corrompus », ajoute Smaïn, 66 ans.

Dans la rue commerçante, les candidats saluent les potentiels électeurs, et les militants distribuent de petits calendriers à l’effigie d’Abdelmadjid Menasra, comportant les horaires des prières. Beaucoup de passants refusent d’un signe de tête. Un jeune militant, tee-shirt vert et casquette affublée d’un « 26 », le numéro de la liste du MSP, est interpellé par un vieil homme : « Vous avez vu ces panneaux électoraux ? En fer forgé, avec de la peinture dorée ! Y en a partout ! Et on nous dit que l’Etat n’a plus d’argent ! » Le jeune homme rétorque, en désignant les candidats du menton : « Eux, ils ne volent pas. »

La visite se fait au pas de charge. On s’arrête pour prendre une photo avec un homme en fauteuil roulant, échanger deux mots avec un vendeur à la sauvette, mais on discute peu. « Il y a de plus en plus de désintérêt. La priorité pour les gens, c’est le chômage, les problèmes sociaux. Ils considèrent surtout que la politique, c’est de la magouille », constate Ali Kouider. Face à un homme qui lui affirme que les leaders politiques ne sont jamais sur le terrain hormis pendant la campagne, le candidat Ahmed Bourmad sourit : « On sait que c’est difficile. On prône un militantisme de longue haleine. Beaucoup trop de gens sont assis devant leur télévision sans rien faire. Il faut s’accrocher, jusqu’au jour où le pouvoir acceptera de travailler avec nous. »

Voter pour ses voisines

Perchée au sommet d’un long escalier abrupt, la cité Mahieddine est la deuxième étape de la journée. Des barres d’immeubles rectangulaires, couleur ocre, entourent une immense mosquée à dôme vert. En ce début d’après-midi, peu de monde dans la rue : de grandes poubelles à roulettes, autour desquelles s’entassent des ordures, et des rideaux de métal baissés. Seules deux petites épiceries sont ouvertes. Entre les deux, le local MSP du quartier est fermé.

Sur le mur, trois affiches avec les visages des candidats de la liste. Mohamed, survêtement bleu foncé et polo rayé, affirme qu’il ira voter. Il pointe du doigt deux visages féminins sur une affiche : « Ces femmes-là, ce sont mes voisines. Des femmes bien. On avait voté FLN, mais l’élu n’a pas aidé les gens. »

L’une des deux femmes qu’il désigne est Louisa Malek, 47 ans, troisième sur la liste du MSP. Elle a vécu ici pendant trente ans, avant de se marier et de déménager en périphérie de la capitale. Foulard rose pâle noué sous le menton, longue veste parme, elle fait une pause dans un autre local de campagne à proximité. Présidente d’une association de femmes, investie dans la mosquée de son quartier, elle est issue « du terrain » et sait que cela compte : « La question de l’honnêteté est primordiale pour les électeurs, assure-t-elle. Ils sont plus sensibles à la personne qu’au programme. Ils font confiance aux gens qu’ils connaissent. »

Après une pause déjeuner rapide, la candidate repart en voiture avec trois autres femmes. Sur la façade de l’immeuble, un poster géant du MSP est déroulé sur plusieurs étages. Mais la banderole la plus visible est au-dessus : « Les jeunes de Belouizdad » – blanc et rouge, les couleurs de l’équipe de football du quartier, le CRB (Chabab Riadhi Belouizdad), qui jouait ce jour-là contre l’autre équipe d’Alger, l’USMA.

Près de 11 500 candidats en lice pour les législatives algériennes

Quelque 23 millions d’électeurs algériens sont appelés, jeudi 4 mai, à renouveler les sièges des 462 députés que compte l’Assemblée nationale (chambre basse du Parlement) parmi 11 500 candidats en lice.

A l’heure actuelle, l’alliance présidentielle au pouvoir, constituée par le Front de libération nationale (FLN, ex-parti unique, 221 sièges) et le Rassemblement national démocratique (RND, 68 sièges), constitue la principale force politique. Laminés lors des législatives de 2012 où ils n’ont obtenu que 60 sièges, les partis islamistes participent à travers deux coalitions rivales et un nouveau parti du Rassemblement de l’espoir de l’Algérie (TAJ).

Pour le pouvoir, qui voit dans ce scrutin une façon de se légitimer mais aussi de préparer le paysage politique de l’après-Bouteflika, le premier enjeu sera celui de la participation. En 2012, celui-ci s’était élevé à 43 % selon le chiffre officiel, contesté.