Deux orques du parc Seaworld de San Diego, en Californie, lors d'une performance. | Leon7 / CC BY-SA 3.0

La réforme des delphinariums va finalement voir le jour. L’arrêté interministériel sur « les règles de fonctionnement des établissements détenant des cétacés » a été validé par la ministre de l’environnement, mercredi 3 mai, et devrait être publié au Journal officiel vendredi ou samedi. Le texte, en discussion depuis vingt mois entre le gouvernement, les professionnels, les associations et le Muséum national d’histoire naturelle, abroge une législation devenue obsolète, datant de 1981. Il impose aux parcs abritant des orques et des dauphins des normes plus draconiennes afin de « garantir leur bien être ».

L’arrêté était en réalité signé par les trois ministres concernés depuis le 28 mars, mais sa publication avait été bloquée à la dernière minute par Ségolène Royal pour « refaire un point avec les ONG ». Selon plusieurs sources, la ministre de l’environnement s’inquiétait de la publicité négative que pourraient faire les associations de défense des animaux, en particulier One Voice et la Fondation Brigitte Bardot, qui luttent pour la fin pure et simple de la captivité des cétacés et jugeaient donc le texte insuffisant.

Le 10 avril, cinq ONG – menées par C’est assez ! et la Fondation Droit animal, éthique et science – avaient écrit à la ministre pour lui demander de publier l’arrêté, craignant qu’il ne voie jamais le jour, à la veille de la fin du quinquennat. Elles s’y engageaient « à mettre en avant les avancées du texte dès sa parution ». C’est finalement l’intervention d’Allain Bougrain-Dubourg, le président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), mardi soir, qui a fait basculer Ségolène Royal. « Les associations m’ont demandé d’être leur ambassadeur. J’ai discuté avec la Fondation Brigitte Bardot et Robin des bois, qui ont admis que c’était une première étape. Cela a rassuré la ministre », explique-t-il, jugeant pour sa part cette étape d’« historique ».

« C’est un progrès pour les animaux et nous sommes satisfaits que l’arrêté aboutisse. Nous avons grappillé de nombreuses avancées depuis sa première version, il y a un an », abonde Florian Sigronde, chargé du dossier à la Fondation Droit animal. Il regrette toutefois de ne « pas avoir obtenu gain de cause sur trois demandes importantes : l’arrêt de la reproduction en captivité des dauphins, la fin des spectacles avec des animaux et l’interdiction de l’ouverture de nouveaux établissements en France ».

Fin de la reproduction des orques

L’arrêté affiche malgré tout une avancée demandée de longue date par les écologistes : l’interdiction de la reproduction des orques en captivité. Les quatre épaulards détenus au Marineland d’Antibes seront donc les derniers de leur lignée, conduisant, à terme, à la fin de leur captivité en France.

La mesure n’a toutefois pas été étendue à la trentaine de grands dauphins qui évoluent également dans ce parc zoologique des Alpes-Maritimes, ainsi que dans le Parc Astérix (Oise), Planète sauvage (Loire-Atlantique) et au Moorea Dolphin Center (Polynésie française). Le texte prévoit seulement un « contrôle étroit de la reproduction des dauphins », par un avis de la Commission nationale consultative pour la faune sauvage captive, et seulement « si la configuration et la taille des bassins le permettent ».

Plus largement, dans ses 33 articles, l’arrêté améliore les conditions de détention de ces animaux. Il prévoit d’augmenter la taille des bassins, pour atteindre une surface minimale de 3 500 m2 pour les orques, et de 2 000 m2 pour les dauphins, contre 800 m2 pour l’ensemble des cétacés dans la législation de 1981.

Quant à la profondeur, elle doit au moins atteindre, sur « la moitié de la superficie totale », 11 mètres pour la première espèce et 6 mètres pour la seconde. « Cela ne représente malgré tout que 1 % des volumes dans lesquels évoluent ces animaux dans la nature, avertit Christine Grandjean. Les dauphins parcourent de 100 km à 150 km par jour, tandis que les orques plongent à 200 mètres. »

Mardi, Ségolène Royal a fait un ultime geste envers les associations : les parcs zoologiques devront faire les travaux de mise en conformité des bassins dans un délai de trois ans, et non plus cinq, ce qui était prévu dans la précédente version du texte.

Parmi les autres évolutions, les delphinariums devront prévoir des « enrichissements des bassins » (courants, vagues, cascades, etc.) pour éviter « l’ennui et la frustration des animaux », des zones d’ombre, et ne plus utiliser de chlore. La nouvelle réglementation interdit également, dans un délai de six mois, l’échouage des animaux pour les spectacles, les présentations nocturnes, les effets sonores et lumineux « pouvant entraîner du stress pour les animaux » et les contacts directs entre le public et les cétacés. Il ne sera donc plus possible de nager avec les dauphins, une activité lucrative pour les parcs marins – elle coûte 70 euros à Marineland, hors billet d’entrée.

« Nous avons fait des erreurs »

« Nous sommes très satisfaits de la publication de cet arrêté, qui va dans le sens de notre profession vers plus de bien-être pour nos animaux », juge Rodolphe Delord, président de l’Association française des parcs zoologiques et directeur du zoo de Beauval, qui a participé à l’élaboration du texte. S’il estime le coût des investissements à entre 10 millions et 20 millions d’euros par parc, il assure que les établissements « se plieront aux exigences de l’arrêté ».

Alors que les critiques de l’exploitation animale se font toujours plus vives, il en va de leur image. « Nous avons fait des erreurs dans les années 1970, mais la capture d’animaux en milieu naturel est interdite depuis longtemps », assure Jon Kershaw, le directeur animalier de Marineland. Et de balayer les accusations : les delphinidés ne sont pas affamés pour faire les numéros. « La majorité de nos cétacés sont nés en captivité et n’en souffrent donc pas. Leur maison est le bassin. »

Une vision idéalisée que récusent les associations. « La captivité n’est pas adaptée aux besoins physiologiques des animaux. Elle entraîne du stress, de l’ennui, des souffrances et de nombreuses maladies qui peuvent provoquer la mort », rétorque Christine Grandjean. Elle en veut pour preuve une espérance de vie des cétacés réduite dans les bassins par rapport aux océans, « alors que dans ces derniers, ils sont menacés par la pêche et les pollutions ».

« Malgré les grandes améliorations, leurs conditions de vie sont loin d’être idéales en captivité, confirme Christophe Guinet, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des mammifères marins. Mais si l’on fermait les delphinariums, il faudrait savoir quoi faire des animaux, qui seraient incapables de s’adapter au milieu naturel. Peut-être un système de semi-liberté dans un bras de mer… »

En Europe, plusieurs pays ont interdit les delphinariums ou s’en sont détournés. Au Royaume-Uni, tous les parcs ont fermé dans les années 1990, en raison de coûts de mise aux normes trop élevés.