Marine Le Pen et Emmanuel Macron, mercredi 3 mai, lors du débat pour le second tour de la présidentielle 2017. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"

Emmanuel Macron et Marine Le Pen se sont affrontés, mercredi 3 mai, à partir de 21 heures sur TF1 et France 2 pour l’unique débat avant le second tour de la présidentielle, dimanche 7 mai. Les deux candidats à la présidentielle ont été interrogés par Christophe Jakubyszyn (TF1) et Nathalie Saint-Cricq (France 2) d’abord sur l’économie, puis sur la protection sociale, sur l’Europe et l’international et enfin sur les questions de société.

  • Un débat violent, de bout en bout

Tirée au sort pour prendre la parole la première, la candidate du Front national a immédiatement donné le ton du débat en attaquant frontalement son rival, et en l’affublant de l’habit du « sortant », héritier du quinquennat Hollande :

« M. Macron est le choix de la mondialisation sauvage, de l’ubérisation, de la précarité, de la guerre de tous contre tous, du saccage économique, notamment de nos grands groupes, du dépeçage de la France, du communautarisme. (…) Les Français ont pu voir le vrai Macron dans ce second tour : la bienveillance a fait place à la médisance, le sourire étudié se transforme en rictus au fur et à mesure du meeting, l’enfant chéri du système et des élites, a tombé le masque. »

Face à cette ouverture, le candidat d’En marche ! a répliqué en accusant sa rivale d’être « l’héritière d’un nom, d’un parti politique, d’un système qui prospère sur la colère des Français depuis tant et tant d’années », après avoir jugé que, dans son propos liminaire, elle avait « démontré » qu’elle n’était « pas la candidate de l’esprit de finesse, de la volonté d’un débat démocratique, équilibré et ouvert ».

Cela n’a pas empêché la candidate d’extrême droite de continuer à exploiter le filon, appelant M. Macron « Monsieur le ministre de l’économie, devrais-je dire, monsieur le conseiller auprès de M. Hollande », « enfant chéri du système et des élites » ou encore « Hollande junior ». Elle l’a également accusé d’essayer de « de faire oublier [qu’il a] participé à un gouvernement qui a mis en œuvre loi El Khomri, qui est une loi de précarisation du travail, qui a créé un chômage encore plus important depuis que vous êtes parti ».

Sur le fond, Mme Le Pen a défini ainsi « la philosophie » du projet de son adversaire : « Tout est à vendre et à acheter : les hommes, les ventes (…) vous ne voyez les rapports humains que par rapport à ce que ça rapporte par rapport aux dividendes qu’on peut en tirer. »

M. Macron, lui, a dénoncé « le projet caché » de Mme Le Pen : « Vous ne baissez aucune dépense, ce n’est pas vrai, vous allez soit creuser le déficit et dépendre de marchés financiers, soit augmenter les impôts durant votre quinquennat, soit augmenter la dette et ce sont nos enfants qui le paieront. »

Enfin, les deux candidats se sont violemment affronté sur les affaires, dans les dernières minutes du débat. « Le parti des affaires, c’est le vôtre », a affirmé M. Macron. « Le parti des affaires, c’est le mien ? J’espère qu’on n’apprendra rien dans les prochains jours ou semaines. Personne n’a compris les explications que vous aviez données sur votre patrimoine », lui a rétorqué Mme Le Pen, avant de lancer, un peu plus tard : « J’espère qu’on n’apprendra pas que vous avez un compte offshore aux Bahamas. » « C’est de la diffamation », a répondu M. Macron.

  • Macron accuse Le Pen de revirement sur les retraites

« Mme Le Pen propose de partir à 60 ans. Elle proposait naguère qu’on puisse le faire dès son élection, maintenant elle a reporté la chose », a pointé du doigt le candidat d’En marche ! sur le sujet des retraites. Lors du débat, sa rivale du Front national s’est engagée à mettre en place la retraite à 60 ans, moyennant 40 annuités de cotisations, « d’ici la fin du quinquennat ». « Non, ça n’a pas changé » quant à la date, a-t-elle affirmé.

« C’était dans les deux mois il y a quelques semaines » que cette réforme devait être lancée, a martelé son opposant. « Le plus vite sera le mieux », a rétorqué Mme Le Pen.

La candidate au second tour de la présidentielle avait affirmé que « le retour à l’emploi » était nécessaire pour rendre effective, « probablement à la fin du quinquennat », la retraite à 60 ans avec 40 annuités de cotisations, qu’elle prévoyait jusque-là presque immédiate. L’ancien ministre de l’économie a en outre critiqué un projet coûtant « 30 milliards » et étant « infinançable » à ses yeux. « Non, 17 » milliards, l’a interrompu la candidate FN et actuelle eurodéputée.

  • Sur le terrorisme, Macron accusé de « complaisance », Le Pen de « porter la guerre civile »

Marine Le Pen a assuré que « la sécurité et le terrorisme est une problématique absolument majeure, totalement absente » du projet de son rival et a proposé à nouveau qu’on « expulse tout de suite les fichés S étrangers ». Elle a ensuite accusé M. Macron de « complaisance sur le fondamentalisme islamiste ».

« Le terrorisme et la menace terroriste, c’est la priorité des prochaines années, a répondu ce dernier. Cela suppose de renforcer les moyens de police et d’avoir une action avant les attentats. » « Depuis novembre 2015, nous avons rétabli des contrôles aux frontières et interpellé plus de 60 000 personnes. Ce que vous proposez, c’est de la poudre de perlimpinpin. La clef c’est de repérer les menaces, les terroristes ne passent pas les frontières en se signalant, nous avons besoin d’une plus grande coopération entre les Etats membres de l’UE, pouvoir sur des fichiers contrôler les potentiels terroristes qui circulent d’un territoire à l’autre et passent les frontières en se signalant, en prenant l’avion. Vous avez voté contre ! », a-t-il ajouté.

Puis le candidat d’En marche ! a affirmé que « le plus grand souhait des djihadistes c’est que Marine Le Pen arrive au pouvoir en France, car ils cherchent la radicalisation et la guerre civile que vous portez dans le pays. Le piège de la guerre civile qu’ils nous tendent en insultant les Français en jetant le trouble dans notre pays ».

  • International : sortie de l’euro et Russie au cœur du débat

« L’euro, c’est la monnaie des banquiers, ce n’est pas la monnaie du peuple », et « c’est la raison pour laquelle il faut que l’on arrive à s’arracher à cette monnaie », a affirmé la candidate du FN et eurodéputée, défendant son projet « essentiel » de passage d’une monnaie unique à une monnaie nationale.

« Une grande entreprise ne pourra pas payer en euros d’un côté et payer ses salariés de l’autre en francs. Ça n’a jamais existé, Mme Le Pen. C’est du grand n’importe quoi », a rétorqué le candidat d’En marche !

Alors que la présidente du FN l’accusait d’agiter « le projet peur » comme pour le Brexit, M. Macron a répliqué : « Qui joue avec les peurs de nos concitoyens ? C’est vous (…) La grande prêtresse de la peur, elle est en face de moi. »

Dénonçant le projet de sa rivale comme « mortifère », l’ancien ministre de l’économie lui a lancé que son « bidouillage avec M. Dupont-Aignan n’a aucun sens, il manifeste une impréparation crasse ». « Ma vision, c’est de construire un euro fort et une politique européenne forte et dans laquelle nous défendrons les intérêts de la France », a-t-il plaidé.

Sur la place de la France dans le monde, la patronne du FN « pense que nous devons être à équidistance de la Russie et des Etats-Unis, nous n’avons aucune raison de mener une guerre froide avec la Russie, nous avons toutes les raisons d’engager une relation diplomatique et commerciale ». « Il est évident que si vous étiez élue, le monde ne nous regarderait pas d’une bonne manière. L’image que vous donnez de la France n’est pas belle », a répliqué son rival.

  • Un festival d’erreurs et d’intox côté Marine Le Pen

Le candidat d’En marche ! a dénoncé à plusieurs reprises les « bêtises » dites par la candidate du FN – souvent à raison. « Je n’étais pas ministre quand SFR a été vendu », a ainsi rappelé Emmanuel Macron. Point contesté par Marine Le Pen : « Evidemment vous étiez ministre. » La candidate a même accusé son rival d’avoir déjà menti à ce sujet devant « des millions de Français ». Dans les faits, la vente de SFR par Vivendi à Numéricable a été actée au printemps 2014, alors qu’Emmanuel Macron n’est devenu ministre de l’économie que fin août 2014, après le départ d’Arnaud Montebourg et Benoît Hamon du gouvernement. Emmanuel Macron s’est par ailleurs opposé publiquement par la suite au rachat de Bouygues par SFR-Numéricable.

Le conflit entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen sur la vente de SFR
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« Le CICE, vous l’avez donné en priorité aux grands groupes », a ensuite assuré Marine Le Pen. C’est faux. Selon un rapport du ministère de l’économie paru en janvier 2016, le dispositif a bénéficié d’abord aux TPE/PME (48 % des créances enregistrées sur 2013 et 2014), puis aux grandes entreprises (30 %) et aux entreprises de taille intermédiaire (22 %).

Marine Le Pen a également accusé M. Macron d’avoir « vendu aux Italiens » les chantiers navals de Saint-Nazaire. Ce groupe privé appartenait en réalité à une entreprise sud-coréenne quand il a été acheté par un groupe italien. On peut cependant reconnaître que l’Etat français, qui avait tenté d’inciter des groupes français à racheter les chantiers, y a échoué. Enfin, Emmanuel Macron n’était plus ministre au moment de cette vente.

D’autres intox ont été reprises par la dirigeante d’extrême droite : sur la gestation pour autrui, qui est interdite en France et que M. Macron ne souhaite pas toucher ou encore sur les retraites, quand elle a affirmé que « la retraite à points [proposée par M. Macron] on la trouvait aussi chez M. Fillon » – le candidat Les Républicains s’y opposait au contraire.

Et les deux candidats se sont trompés, ensemble, sur l’aménagement des courtes peines, attribué à la loi Taubira alors qu’il a été introduit par la loi Dati de 2009.

Présidentielle 2017 : d'où viennent les règles du débat de l'entre-deux-tours
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