Des Brésiliens manifestent contre la décision de la Cour suprême de relâcher José Dirceu, le 3 mai à Curitiba. | HEULER ANDREY / AFP

L’un des avocats de l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva a salué la décision comme celle d’un « 9 thermidor » brésilien. La fin de la « Terreur » infligée par le « Robespierre des tropiques » qu’il voit en Sergio Moro, le juge anticorruption parvenu à mettre sous les verrous une bonne partie des caciques de la politique brésilienne.

Des mots forts pour une décision lourde de sens : mardi 2 mai, la Cour suprême a décidé de libérer José Dirceu, l’un des ex-lieutenants de Lula. Ancien président du Parti des travailleurs (PT, gauche), M. Dirceu, était en prison depuis août 2015 dans le cadre de « Lava Jato » (lavage express), opération judiciaire qui a mis au jour un vaste système de pots-de-vin destiné principalement au financement de partis politiques, orchestré par des groupes de bâtiment et travaux publics en pillant les caisses du groupe public pétrolier Petrobras.

Condamné deux fois en première instance par le juge Moro, la peine de M. Dirceu s’élevait à quelque trente-deux ans de prison, entachant un peu plus le casier judiciaire de l’ancien guérillero, à qui une peine de onze ans de réclusion a déjà été infligée en 2012 dans l’affaire du « mensalao », scandale d’achat de voix au Congrès, révélé lors du premier mandat de Lula, chef d’Etat de 2003 à 2010 – il était sorti de prison en 2014 en échange d’une assignation à résidence.

A une courte majorité (3 contre 2) les juges de la Cour suprême ont estimé que le septuagénaire avait droit, comme le réclamaient ses avocats, à l’habeas corpus : ne pas être enfermé sans jugement. Au Brésil, hormis en cas de danger pour l’ordre public ou de risque d’obstruction à l’enquête, une peine de détention n’est effectuée qu’après le jugement prononcé en seconde instance.

« Dernier recours »

La « prison préventive doit être le dernier recours », a expliqué Dias Toffoli, juge de la Cour suprême en faveur de la libération de M. Dirceu. Tandis que son confrère Gilmar Mendes dénigrait les procureurs travaillant aux côtés de M. Moro qui ont, dans les dernières heures avant le vote, présenté une nouvelle accusation contre M. Dirceu, dans le but apparent d’influencer la Cour suprême. « Ils sont jeunes », a soufflé le juge Mendes.

Le vote, qualifié d’« historique » dans les rangs des responsables politiques, peut se lire comme un revers infligé au juge Sergio Moro et à ses méthodes. Le magistrat est réputé pour sa facilité à décréter la prison préventive. Une tactique qui a, jusqu’ici, largement contribué à pousser les prévenus aux aveux, permettant de remonter le fil d’un réseau de corruption allant jusqu’aux plus hautes sphères de Brasilia. Le juge, présenté par les uns comme un superhéros en guerre contre la corruption et par les autres comme le fossoyeur du PT, a toutefois exigé que M. Dirceu, libre, circule avec un bracelet électronique.

Soupçons de connivence

A un moment où l’opération « Lava Jato », après s’être attardée sur le PT et ses alliés, s’attaque à l’ensemble des grands partis politiques, de gauche comme de droite, la réaction de la Cour suprême a choqué une partie de l’opinion publique, soupçonnant une connivence entre la plus haute juridiction et Brasilia pour perturber le travail du juge Moro. Sur les réseaux sociaux a ainsi surgi le mot clé #STFVergonhaNacional (Cour suprême, honte nationale), tandis qu’une petite foule écrivait « Gilmar traître » devant le bâtiment de la Cour suprême.

« Ce n’est pas la fin de Lava Jato, mais la fin des détentions préventives (…), mettant un frein aux dénonciations », estime Oscar Vilhena Vieira, directeur de l’école de droit de la Fondation Getulio-Vargas à Sao Paulo, interrogé par le quotidien Folha de Sao Paulo mercredi.

A ce stade de l’enquête, cette hypothèse semble toutefois peu préjudiciable à l’enquête. Si « Lava Jato » n’est pas encore arrivée à son terme, les confessions les plus explosives ont été obtenues, permettant de mettre en cause la quasi-totalité de la vieille élite politique brésilienne. De plus, souligne le politologue Carlos Melo, sauf coup de théâtre, Jose Dirceu ne devrait pas échapper à la prison après son procès en seconde instance. Tout comme la kyrielle des autres prévenus de « Lava Jato ».