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Ivanka Trump s’est construit, dans le sillage de l’élection de son père, un rôle hybride et inédit : à la fois « First Daughter » qui a l’oreille du président, haute conseillère à la fonction officielle floue et défenseuse de la cause féminine dans une administration précisément combattue par les organisations féministes.

Le livre qu’elle vient publier (Femmes au travail : réécrire les règles du succès, non traduit en français) est un guide de conseils pour aider à mieux concilier vie privée et professionnelle. L’ancienne chef d’entreprise, qui a laissé de côté son emploi à la Trump Organization et dans sa propre entreprise de prêt-à-porter, distille ses conseils en s’appuyant sur des personnalités qui ont guidé son parcours.

Dans le style self-help très américain, l’ouvrage prétend à la fois « démonter le mythe de la superwoman » et partager quelques facettes « d’une vie de princesse », terme que des médias lui ont collé à la peau. Il a été rédigé avant l’élection de son père et paraît opportunément pour le cap de ses 100 jours au pouvoir. La date, et la campagne de promotion, ne sont pas un hasard.

Dès lors, des questions se posent sur l’image politique que souhaite projeter Ivanka Trump – celle d’une proche conseillère qui aurait le pouvoir de faire changer d’avis Donald Trump sur les thématiques qu’elle défend – et sur la réalité de son rôle. Médias, opposants et y compris les femmes qu’Ivanka Trump cite comme inspiration dans son livre lui reprochent de n’être qu’une façade pour adoucir l’image exécrable de son père chez une partie de l’électorat féminin.

Des « mentors » pas toujours contentes de l’être

Parmi les 208 personnalités cités dans le livre – dont Mark Zuckerberg, Will Smith et Jeff Bezos – certaines se sont publiquement opposées à la politique de l’administration Trump ou avaient soutenu Hillary Clinton pendant la campagne. Les réactions de quelques-uns de ces « mentors » ne se sont pas fait attendre.

Ainsi, Reshma Saujani, la fondatrice de « Girls who code », un organisme qui permet de donner des cours d’informatique gratuits à des jeunes filles, a demandé Ivanka Trump de « ne pas utiliser [son] histoire, à moins d’arrêter d’être complice ».

« L’enjeu est de savoir si elle sera capable de réaliser quelque chose d’autre qu’un intérêt personnel », a résumé Umber Ahmad, une ancienne banquière devenue cuisinière renommée, également citée dans le livre.

D’autres personnalités mentionnées se sont montrées moins hostiles, mais toujours quelque peu circonspectes, comme la célèbre primatologue et anthropologue Jane Goodall. Elle espère qu’Ivanka Trump prendra à cœur la citation qu’elle a reprise dans son livre :

« Ce que tu réalises fait la différence et tu dois décider quelle sorte de différence tu veux accomplir. »

Interrogée par le Washington Post, Mme Goodall a avoué avoir découvert en même temps que les autres lecteurs l’utilisation de sa citation et espère sincèrement que « madame Trump soutiendra et chérira l’environnement et protégera la planète pour les générations futures ». Elle souligne tout de même que des lois protégeant la faune sauvage, l’air et l’eau ont été « mises en péril par cette administration ».

Des paroles, mais peu d’actes en faveur des femmes

Pablo Martinez Monsivais / AP

A la Maison Blanche, Ivanka Trump occupe un bureau dans l’aile ouest, où officient les plus proches conseillers de son père, dont Jared Kushner, son mari. Comme lui, elle a obtenu le statut d’employée fédérale non rémunérée afin de pouvoir légalement évoluer dans les sphères du pouvoir de Washington.

Les thèmes qu’elle souhaite « faire avancer », comme on dit dans le jargon bureaucratique, sont les mêmes qu’elle expose dans son livre : aide aux frais de garde d’enfants, création d’un fonds pour les femmes entrepreneuses ou d’un congé maternité payés par l’Etat fédéral (seules 12 % des Américaines y ont accès). Elle s’est mise en première ligne pour convaincre les élus républicains du bienfait de ces mesures.

Malgré des articles de presse qui la présentent comme une des rares personnes capables de faire changer d’avis Donald Trump, les thèmes chers à Ivanka Trump se traduisent, pour l’instant, surtout par des paroles. Invitée pour un sommet sur les femmes et l’entrepreneuriat en Allemagne, elle a pris l’exemple des « milliers de femmes qui ont travaillé avec et pour son père pendant des années », qui représentent « la preuve de sa croyance et de sa solide conviction envers le potentiel des femmes et leur capacité d’accomplir un travail aussi bien que des hommes ». Mais pas un mot sur l’immense Women’s March, le 21 janvier, ou sur la longue liste de propos machistes et sexistes de son père.

Ivanka Trump défend son père lors du sommet G20 des femmes
Durée : 01:26

Les actions politiques de l’administration dont elle est membre n’épousent pas ses préoccupations (droits des femmes, égalité des sexes…) et sont régulièrement en contradiction, parfois symboliquement, parfois très concrètement, avec ce qu’elle prétend défendre :

Même si ça ne fait que 100 jours que l’équipe Trump est au pouvoir, cette accumulation peut laisser penser que le féminisme d’Ivanka Trump n’est qu’une façade. Juliet A. Williams, professeure d’études de genre à l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), doute que la seule « présence » de la First Daughter à la Maison Blanche « est un progrès pour les femmes ».

« Certes, elle est une femme et, oui, elle est à la Maison Blanche, mais a-t-elle été élue ? Choisie pour ses compétences ? Non, un homme puissant – son père – l’a fait venir pour adoucir son image. Et elle est la femme de son mari qui, lui, a un poste de conseiller. En quoi est-ce féministe ? Le féminisme est en soi une opposition face au statu quo, or elle ne s’oppose à rien. »