« Je dois avouer que je n’étais même pas au courant », s’excuse Sofia en souriant, un peu gênée d’apprendre l’existence des élections législatives dans son pays d’origine, l’Algérie. La jeune fille de 20 ans sort du consulat algérien de Bobigny (Seine-Saint-Denis). « Je ne suis venue que pour ça, explique-t-elle en montrant le passeport qu’elle tient à la main. Je rentre au bled que pour les vacances, je ne m’intéresse pas du tout à la politique là-bas. »

Sofia est franco-algérienne et, comme 764 000 personnes en France, elle est invitée à voter aux élections législatives algériennes qui se tiennent dans les différents consulats de France. Ces dernières se déroulent sur trois jours, samedi 29, dimanche 30 avril et jeudi 4 mai, dans une relative indifférence.

« Personne ne m’a prévenue, et puisque je me sens plus française, je vote en France. » Car si les élections algériennes ne l’intéressent pas, elle a voté à la présidentielle dimanche 23 avril et retournera aux urnes le 7 mai pour y déposer un bulletin Emmanuel Macron. « En Algérie, je ne sais même pas pour qui on doit voter », assure-t-elle en s’éloignant.

A Bobigny, 2 500 votants sur 84 000 inscrits

L’électorat algérien en France est réparti en deux zones. Ils sont 463 260 inscrits dans la zone nord et 300 511 dans la zone sud. Ils auront à choisir leurs quatre députés parmi 19 listes dans la zone nord et 14 listes dans la zone sud.

Le consulat de Bobigny rassemble la plus grande communauté franco-algérienne du pays, 187 000 personnes. Dont moins de la moitié s’est inscrite sur les listes électorales. « Les deux premiers jours, on n’a pas eu beaucoup d’affluence, regrette Mahmoud Massali, le consul d’Algérie à Bobigny. Environ 2 500 personnes»

Selon lui, c’est la faute à l’organisation imposée cette année. « D’habitude, les gens ont six jours pour aller voter, mais cette année, ils n’ont que trois jours qui ne se suivent même pas. » Les raisons de ce scrutin saccadé ? L’Etat d’urgence sûrement et la présidentielle française peut-être, il ne sait pas trop. Mais il est sûr d’une chose : les Franco-Algériens sont intéressés par les élections françaises mais aussi par le scrutin algérien. Ou plutôt, il se force à y croire. « On espère une participation d’environ 20 %. »

Devant le consulat en préfabriqué, un quinquagénaire à moustache, qui refuse de dire son nom, « parce qu’on ne sait jamais », est venu pour demander des informations sur le scrutin. « J’ai appris à la radio que les Franco-Algériens étaient invités à voter. » S’il ira voter, il ne sait pas pour qui. « Je vais mettre un bulletin au hasard, je n’en connais aucun », explique-t-il. Il s’explique : « J’ai peur qu’un jour on me demande ma carte électorale algérienne à la douane, avec eux on ne sait jamais. »

En revanche, dimanche 7 mai, il ira voter par conviction. « Pour Macron, parce qu’il ne fera pas de mal aux Franco-Algériens », contrairement à « Marine Le Pen qui met tout le monde dans le même sac. » Il précise : « J’ai très peur du FLN. » Interdit, il se reprend : « Du FN, je voulais dire du FN. » Avant de confier plus doucement. « Enfin ceci dit, j’ai un peu peur des deux. Les deux ne jouent que pour leurs propres intérêts. »

« En Algérie, on ne comprend pas l’enjeu, en France, c’est clair »

Devant le consulat, les rares personnes qui viennent chercher des papiers ou des informations parlent plus de la présidentielle française que des législatives algériennes. Même Kamel, 40 ans, qui n’a pourtant qu’un titre de séjour. « J’aurais bien aimé voter à la présidentielle française, déclare cet ouvrier dans le bâtiment. Ça a plus d’importance qu’en Algérie, et puis je vis ici, ça me concerne plus»

Ils sont beaucoup à penser que le vote pour les législatives n’a pas d’intérêt. Abdel, étudiant de 23 ans n’est pas allé voter cette année. « Habituellement, je vote à chaque élection algérienne, parce que mon père y tient beaucoup », raconte ce jeune binational. Mais le jeune homme pense pour sa part que, puisqu’il vit en France, les élections présidentielles françaises sont bien plus importantes. « On n’est pas du tout concerné par les élections algériennes, estime-t-il. On ne comprend pas l’enjeu, alors que Macron contre Marine Le Pen, l’enjeu est clair. » Dimanche, il ira « voter Macron, contre l’extrême droite ».

Aux alentours, dans les rares cafés où les langues se délient, on ne se soucie guère des élections législatives algériennes. Dans un petit restaurant, à la limite de la capitale et de la Seine-Saint-Denis, personne ne va aller voter aux élections législatives. Au-dessus des tables, à l’entrée, un écran géant diffuse une chaîne d’information en continu qui, en ce mercredi 3 mai, ressasse les préparatifs du débat d’entre-deux-tours de la présidentielle. Un jeune serveur ne comprend pas de quoi on lui parle. « Personne n’en parle ici, et pourtant on est tous franco-algériens. » Avant de conclure en montrant la télé d’un coup de menton : « On a bien assez à faire avec les élections françaises. »

« 99 % des Franco-Algériens votent Macron »

Selon Otman Daoudi, le vice-président de l’association de la Diaspora des Algériens résidents à l’étranger, les binationaux ne se sentent pas concernés par l’élection en Algérie car « les députés ne servent à rien ». A ses yeux, les députés des Algériens de l’étranger « ne représentent que leur propre parti à l’étranger, sans représenter les citoyens ». Il a d’ailleurs appelé à boycotter ces élections législatives. Pour lui, « les gens n’y croient plus », alors qu’en France, « on y croit encore un peu ».

Personnellement, il ira voter Macron, parce qu’il faut « lui laisser sa chance », mais aussi du fait des propos du candidat d’En marche ! sur la colonisation, qu’il avait qualifiée de crime contre l’humanité. « Ça a beaucoup pesé dans la balance, 99 % des Franco-algériens votent Macron pour ça », assure Otman Daoudi. Il va même plus loin : « Ça aurait été Mélenchon qui aurait tenu de tels propos, on aurait voté pour lui. » Abdel, l’étudiant de 23 ans nuance : « Ces propos ont surtout touché des gens de l’âge de mon père, mais nous, on est une nouvelle génération, cela ne nous fait pas changer d’avis. »