Les chefs des services politiques de TF1 et France 2, Christophe Jakubyszyn et Nathalie Saint-Cricq, mercredi 3 mai, sur le plateau du débat présidentiel. | CAMILLE MILLERAND POUR "LE MONDE"

On a beau dire, être journaliste télé, c’est pas rigolo tous les jours. Arbitrer un débat, c’est mourir un peu, surtout quand l’arbitre est sur la touche. Les chefs des services politiques de TF1 et France 2, Christophe Jakubyszyn et Nathalie Saint-Cricq, n’ont pas pu, mercredi 3 mai au soir, en placer une. Christophe avait prévenu, on pouvait suivre le débat Macron-Le Pen en langage des signes. Un internaute a envoyé un message « aux journalistes pris en otage : si vous voulez qu’on vienne vous chercher, clignez des yeux deux fois ». Mais personne n’a cillé. Un autre assure un peu cruellement qu’ils regardaient « tranquillou le match Monaco-Juve ».

C’est ingrat. « Notre rôle sera de veiller à la stricte égalité de vos temps de parole, a annoncé d’emblée Nathalie Saint-Cricq, et également à l’équité de vos échanges. » Elle n’a pas tellement pu veiller à l’équité, et Nathalie Saint-Cricq n’a pas croqué grand monde. Les deux candidats se sont très bien débrouillés tous seuls, et nos journalistes politiques, par définition professionnellement plus diserts, ont dû se contenter de surveiller la pendule. Une sorte de course contre la montre, mais assis ; style plantons de l’information. « Alerte enlèvement, a rigolé un spectateur sur Twitter, les deux journalistes du débat portés disparus depuis près d’une heure. » Et même deux. On a un peu regretté feu Edouard Sablier, éditorialiste au Monde (1945-1962) à l’aube d’une longue carrière, qui semblait mieux prédestiné, sauf son respect, au minutage du débat.

Aveu et impuissance

Honnêtement, personne n’aurait fait mieux. Deux bêtes de scènes, surentraînés, jouaient mercredi soir l’avenir de leur vie politique, ce n’était pas le moment de placer une réflexion intelligente, déjà que les candidats passaient leur temps à se couper la parole. Le pire est, comme toujours que le débat avait été minutieusement préparé par les équipes des impétrants. « Nous ne serons pas des passe-plats », avait assuré Nathalie Saint-Cricq. Mais le menu était à la fois trop brutal et trop copieux pour gazouiller entre la poire et le fromage.

Quand ils ont commencé à déborder du temps d’antenne, Nathalie Saint-Cricq a réussi à glisser, « vous ne respectez pas les règles que vous avez vous-même fixées », sorte d’aveu, et d’impuissance. Et puis Emmanuel Macron et Marine Le Pen n’avaient besoin de personne pour s’échanger des noms d’oiseaux ; le débat de l’entre-deux tours est au journalisme ce que les rutabagas sont à la gastronomie, et l’humilité est aussi une vertu : « l’homme n’apprend à se taire qu’à l’école du malheur », disait sentencieusement Sénèque.