Sur l’Europe aussi, les échanges entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron furent âpres, brutaux, pénibles même, lors du débat de l’entre-deux-tours, mercredi 3 mai. La souverainiste europhobe et l’européen revendiqué ont démontré à quel point ils s’opposaient sur le sujet, sans rien livrer de nouveau, prisonniers de leurs stratégies respectives – à elle la vindicte incessante, à lui la traque aux « bêtises » et aux « mensonges ».

Mme Le Pen, présidente « en congé » du Front national le temps de la campagne, n’a pas levé l’ambiguïté sur les amendements ­conséquents apportés à son projet après le ralliement de Nicolas ­Dupont-Aignan, samedi 29 avril. La sortie de l’euro ne sera plus un « préalable » à sa politique économique, avait-elle déclaré à propos de son « alliance patriote et républicaine » avec le président de Debout la France.

L’autoproclamée « candidate de la nation qui protège » a répété, mercredi, qu’elle voulait un retour à une Europe des nations, « libres et souveraines » et aconfirmé qu’elle « entrera en négociation » avec les membres de l’Union européenne(UE) pour récupérer les quatre « souverainetés » qui lui sont chères (monétaire, législative, territoriale et économique). Mais sans préciser combien de temps durerait cette étape. « J’ai dit six mois, c’est un délai indicatif. Je ne veux pas créer le chaos, précipiter les discussions. Si c’est dix mois, ce sera dix mois. »

Mme Le Pen a réitéré sa volonté d’organiser un référendum à l’issue des discussions. Et a confirmé qu’elle voulait aussi sortir la France de l’euro, cette « monnaie des banquiers », en s’appuyant sur le Brexit – alors que Londres n’a jamais été membre de la zone euro, comme l’a rappelé M. Macron. « On s’en libère et on le transforme en monnaie commune (…). Les Français ne paieront pas avec des euros, mais avec des francs, et les grandes entreprises et les banques centrales paieront avec des euros », a-t-elle martelé.

« Tout cela ne tient pas »

Poussant son avantage, Emmanuel Macron a consacré l’essentiel de son temps de parole à démonter les arguments de son adversaire plutôt qu’à détailler son propre projet. Les Français devront-ils payer en francs et les grandes entreprises en euros, comme l’a prétendu Mme Le Pen ? « C’est du grand n’importe quoi, a asséné le candidat d’En marche ! Celui qui fait des pommes dans la vallée de la Durance ou l’épargnant qui nous écoute, ils perdront du jour ou lendemain 20 % de leur épargne [à cause de la dévaluation inhérente au retour au franc] ? Tout cela ne tient pas deux secondes. »

M. Macron a insisté sur le fait que « l’euro nous protège » et a accusé Mme Le Pen de ne proposer qu’un retour à « la guerre des monnaies, qu’on a connue déjà au début des années 1990 ». Son projet « est mortifère pour le pouvoir d’achat, la compétitivité et la place de la France dans le monde », a-t-il dit, rappelant ses promesses : « Des marchés européens réservés pour 50 % à des entreprises européennes », « un euro fort », « un travail détaché mieux contrôlé qu’aujourd’hui », « une politique commerciale européenne mieux protégée » sans revenir sur sa proposition des derniers jours, de lancer un audit sur le CETA, l’accord commercial avec le Canada en cours de ratification dans l’UE.

Constamment à l’attaque, Mme Le Pen a ressorti son argument bien rodé de la supposée inféodation de M. Macron à l’Allemagne, assénant que « la France sera dirigée par une femme : ce sera ou moi ou Mme Merkel ».A l’automne 2015, dans l’hémicycle du Parlement européen, en présence d’Angela Merkel, elle avait qualifié le président François Hollande de « vice-chancelier administrateur de la province France ». Cette fois, elle a dit refuser que la France soit dirigée « à la schlague ».

Réplique cinglante

Enfin, la candidate d’extrême droite a répété deux de ses contre-vérités préférées sur l’Europe. Celle d’une union bancaire dépeinte comme un projet néfaste « qui en cas de défaillance [d’une banque] ira piocher directement dans l’épargne [des gens], comme cela s’est passé à Chypre ».Alors que ce mécanisme a été adopté en 2014 (après la crise chypriote), pour stabiliser l’union monétaire et faire en sorte que ce ne soient plus les Etats (donc les contribuables) mais les actionnaires des banques qui viennent au secours des établissements financiers.

Mme Le Pen a également affirmé que le Brexit n’a pas eu d’effet négatif au Royaume-Uni, au motif que « l’économie britannique ne s’est jamais aussi bien portée », omettant une fois de plus de dire que le divorce d’avec l’UE n’a pas encore eu lieu. Elle a accusé M. Macron de jouer « avec la peur » dans ce domaine, s’attirant une réplique cinglante du favori du second tour : « La grande prêtresse de la peur, c’est vous ! »